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AVENTIN.

judicio omisimus[1]. La précaution de Ziéglérus, et la bonne foi avec laquelle il confessa les mutilations, n’étaient point deux choses qui fussent nées l’une pour l’autre ; car cet aveu excita la curiosité des protestans, et les obligea à tâcher de déterrer ce qui avait été supprimé : et ils cherchèrent si bien un manuscrit de ces Annales non tronqué, qu’ils le trouvèrent. Il fut publié à Bâle, l’an 1580, pas les soins de Nicolas Cisnerus. Le titre de cette édition porte Joannis Aventini Annalium Bojorum libri vii, ex authenticis manuscriptis codicibus recogniti, restituti, aucti diligentiâ Nicolai Cisneri. Coeffeteau n’a pu s’empêcher de faire éclater son chagrin contre l’édition de Cisnerus. Voici comme il parle : Aventin n’est point auteur digne de foi en ces matières ecclésiastiques, n’ayant eu autre but en ses Annales, que de déshonorer le clergé ; et surtout il est récusable en l’histoire de Grégoire VII... L’incontinence de sa plume en ces matières avait été cause que Ziéglérus en sa première impression en avait retranché beaucoup de narrations mensongères, et beaucoup d’invectives contre des ecclésiastiques ; mais les protestans, qui détournent leurs oreilles de la vérité pour s’adonner aux fables, n’ont pu supporter cette correction, et nous ont publié ses Annales avec toutes ses ordures[2].

(D) Il ne trouva, sur son mariage, que des conseils remplis de beaucoup d’incertitude. ] Voici ce que M. Bullart récite à l’égard des réponses que les livres firent : « Socrate le laissait en peine, par ce discours qu’il a autrefois tenu à un jeune homme qui était dans la même irrésolution : Mariez-vous, ou ne vous mariez pas, vous ne pouvez manquer à vous repentir de l’un et de l’autre. Il n’eût pas eu besoin d’autre conseil s’il eût cru celui de Diogène, qui disait aux jeunes gens qu’il n’était pas encore temps qu’ils se mariassent, et aux vieillards, que le temps était passé. Euripide flattait son désir, en disant que la femme est une douce consolation au mari dans ses maladies et dans ses adversités ; mais il l’affligeait par plusieurs autres sentences qu’il prononce ailleurs contre ce sexe[3]. » C’est un pur roman, et une occasion mendiée de débiter un lieu commun ; car la Vie d’Aventin marque expressément qu’il n’examina, avec deux de ses amis, que des passages de l’Écriture. Sæpiùs multos locos ex sacris litteris suadentes et dissuadentes matrimonium protulit.

(E) Il conclut pour le mariage. ] Continuons d’entendre parler le même M. Bullart. « Aventin, lassé de chercher des avis permi les morts et les vivans, et espérant de rencontrer une femme selon ses souhaits, s’écria tout à coup : Je suis vieil, j’ai besoin d’une compagnie qui m’assiste et me serve dans la caducité de mon âge. » Voici ce que dit Ziéglérus : Senectutem suam omninò considerans, tandem prorumpens in hæc verba dixit : « Senex sum, mihi ministrari opus est. » Sa conclusion fut selon les règles de la logique. Conclusio sequitur debiliorem partem. D’un côté, ses livres et ses amis lui conseillaient de délibérer toute sa vie ; et, de l’autre, son infirmité lui conseillait de se marier. Par sa conclusion, il se mit du côté le plus infirme. Mais n’eut-il pas deux enfans en peu d’années, et cela, quoique la laideur et les criailleries de sa diablesse de femme ne fussent pas fort propres à l’échauffer ? Il avait donc tort de dire qu’il lui fallait une femme à cause de la caducité de sa vieillesse, il lui en fallait aussi une à cause des restes de jeunesse qu’il sentait encore.

(F) On le trompa vilainement. ] Son historien lui fait ici beaucoup de tort ; car voici comme il s’exprime : Duxit Suevam, morosam mulierem, illepidam, et omninò pauperem, deceptus ab anu quâdam, quæ ei illam ut famulam saltem adduxerat. La vieille ne lui amena point cette fille de Suabe sur le pied d’une femme qu’il dût épouser, mais comme une simple servante. En quoi donc est-ce qu’elle le trompa ? Il fallait que Zieglérus prît

  1. Ziégler, in Præfatione. Cisner, dans sa Préface, montre qu’Aventin, s’il avait vécu, n’aurait point changé ce que Ziéglérus prétend qu’il aurait changé.
  2. Coeffeteau, Réponse au Mystère d’Iniquité du sieur du Plessis, pag. 673.
  3. Bullart, Académie des Sciences, pag. 148.