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AUGUSTIN.

sincèrement avec ce saint père de l’Église (F). Un savant critique français a beau se servir de termes respectueux, on ne laisse pas de connaître qu’il méprise de tout son cœur les Commentaires de saint Augustin sur l’Écriture (G). M. Claude, qui a condamné dans ce père l’approbation des lois pénales en matière de conscience, se serait exposé lui-même à une rude censure, s’il avait encore vécu trois ou quatre ans (H).

Un médecin de Paris a publié une remarque assez singulière : il a prétendu que ce grand saint avait la force de boire beaucoup, et s’en servait quelquefois, mais sans s’enivrer. Nous rapporterons ses raisons, et celles d’un journaliste qui le réfute (I). Je ne dirai pas beaucoup de choses sur les éditions des Œuvres de saint Augustin (K). Plusieurs de ses traités ont été traduits en notre langue.

(A) Il n’avait nulle inclination pour l’étude. ] Par le portrait que saint Augustin a fait lui-même de son enfance, on peut connaître qu’il était ce qu’on appelle un garnement. Il fuyait l’école comme la peste ; il n’aimait que le jeu, et que les spectacles ; il dérobait tout ce qu’il pouvait chez son père ; il inventait mille mensonges pour échapper aux coups de fouet dont on était obligé de se servir contre son libertinage. Furta etiam faciebam de cellario parentum et de mensâ, vel gulâ imperitante, vel ut haberem quod darem pueris ludum suum mihi, quo pariter utique delectabantur, tamen vendentibus...... Fallendo innumerabilibus mendaciis et pædagogum et magistros et parentes amore ludendi, studio spectandi nugatoria, et imitandi ludicra inquietudine [1]. Par là on réfute ce que Léon Allatius a débité, « qu’à l’âge de douze ans, saint Augustin avait étudié, et compris tout seul, sans le secours d’aucun maître, tous les livres d’Aristote, qui concernent la logique et la théorie, et qu’il avait dans le même âge composé d’excellens écrits, pour découvrir et réfuter les erreurs de beaucoup d’auteurs [2]. » L’écrivain qui a pris le nom de Christianus Liberius, a débité la même chose [3]. M. Baillet les réfute fort solidement tous deux, par les Confessions de saint Augustin ; et il découvre la cause de leur méprise. Croyons, dit-il [4], que ceux qui les ont trompés pourraient avoir lu douze pour vingt dans l’endroit où saint Augustin en a parlé. Ce saint reconnaît qu’il avait près de vingt ans lorsqu’il lui tomba entre les mains un traité d’Aristote qu’on nomme les dix Catégories, dont il avait entendu parler à Carthage avec beaucoup d’ostentation [* 1].…... Il le lut seul, et l’entendit parfaitement. De sorte qu’en ayant conféré depuis avec ceux qui disaient l’avoir appris avec beaucoup de peine d’excellens maîtres, qui le leur avaient expliqué non-seulement de vive voix, mais aussi par des figures qu’ils en avaient tracées sur le sable, ils ne lui en purent dire davantage que ce qu’il en avait compris de lui-même en particulier. Il témoigne aussi qu’à cet âge il lut et entendit sans le secours de personne tous les livres des arts libéraux qu’il put rencontrer. Il dit la même chose des mathématiques, et nommément de la géométrie, de la musique et de l’arithmétique.

(B) Il se plongea dans la débauche des femmes. ] Il commença de très-bonne heure, car à l’âge de seize ans il s’abandonna aux instincts de cette furieuse passion. Ubi eram, dit-il [5], et quàm longè exulabam à deliciis domuls tuæ, anno illo sexto decimo ætatis carnis mæ, cùm accepit in me Sceptrum, et Loias manus ei dedi vesaniæ libidinis, licentiosæ per dedecus humanum, illicitæ autem per leges tuas ? Il passa cette année dans l’oisiveté, parce que son père n’ayant pas de quoi

  1. (*) Confess., lib. IV, cap. XVI.
  1. August., Confess., lib. I, cap. XIX.
  2. Leo Allatius, in Apib. urbanis, pag. 146, apud Baillet, Enfans célèbres, pag. 59.
  3. Christ. Liberius, de Scrib. et leg. Libris, pag. 178, cité par Baillet, là même.
  4. Baillet, là même, pag. 60, 61.
  5. Confess., lib. II, cap. II.