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BAUTRU.

basses jalousies, présomptueux, incapable de suivre une affaire qui traîne en longueur, inconstant, plus propre à commencer cent nouveaux projets qu’à résister au dégoût de manier quelque temps la même affaire : si, dis-je, vous êtes frappé à tels et semblables coins, et que vos grandes qualités ne vous fassent point faire fortune, ne vous en prenez point à l’injustice du sort, à l’iniquité du siècle, à la malignité de votre prochain ; prenez-vous-en à vous-même : attribuez-en la cause aux disproportions des qualités que vous avez eues en partage. » Je compte François Baudouin parmi ceux que l’on peut apostropher de la sorte. Notez qu’entre les personnes de cette trempe quelques-uns se font justice : ils connaissent le mélange qui rend inutiles leurs beaux talens ; et s’ils murmurent, ce n’est pas contre leur prochain, c’est contre leur propre tempérament, c’est contre la nature qui a mis des contre-poids à tout ce qu’elle leur avait donné de plus propre pour une grande élévation. Au reste, je ne prétends point enfermer dans cette hypothèse mille et mille cas particuliers, où les causes de la mauvaise et de la bonne fortune sont tout-à-fait externes : c’est-à-dire, que ceux qui, avec des qualités fort capables de les élever, sont demeurés dans l’obscurité, n’ont eu aucune occasion favorable ; et que ceux qui, sans nul mérite, sont montés bien haut, se sont trouvés dans un tourbillon de circonstances si actif, qu’ils n’ont eu aucun besoin de le seconder, et que leur incapacité ne lui servait point d’obstacle. Mais souvenez-vous que Baudouin n’a point manqué d’occasions : il a été mis souvent sur les voies.

BAUTRU DES MATRAS (Maurice), premier lieutenant de la prévôté d’Angers en titre d’office. Ses fils et ses petits-fils ont rendu son nom très-célèbre, comme on le va voir.

BAUTRU DES MATRAS (Jean), fils du précédent, a été avocat au parlement de Paris, et l’un des meilleurs ; car Antoine Loisel, dans son Dialogue des Avocats, a parlé de lui en cette manière : Bautru volait d’une plus grande aile qu’eux tous. Je ne dirai point qu’il fut plus docte qu’aucun d’eux ; mais il avait la langue mieux pendue ; et, s’il le faut dire, plus angevine[a]. Guillaume et René Bautru des Matras étaient ses frères. Guillaume, conseiller au grand conseil, et grand rapporteur de France[b], a été père du fameux M. Bautru de l’académie française, duquel nous parlerons bientôt. René, assesseur an présidial d’Angers (A), et maire d’Angers en 1604, fut père de Charles, chanoine d’Angers, connu sous le nom de Prieur des Matras, auteur de quelques traités de théologie[c] (B). Je pense que c’est le même Prieur des Matras, qui a été si célèbre par ses bons mots (C), qu’il ne cédait guère en cela à M. Bautru de l’académie française.

  1. La Croix du Maine, pag. 209, en parle avec éloge, et dit qu’il mourut le 23 août 1580, âgé de quarante ans.
  2. Ex Menagiis Notis Gallicis in Vitam Petri Ærodii, pag. 176.
  3. Ménage, Remarques sur la Vie de P. Ayrault, pag. 176.

(A) René Bautru était assesseur au présidial d’Angers. ] C’est de lui sans doute que d’Aubigné parle, au sujet d’une prétendue possédée[1]. Elle a deux diables, dit-il[2], l’un nommé Belzébul, l’autre Astarot. Le premier est un rude diable, fort ennemi des huguenots, qui frappe tout le monde, et eût frappé M. Matras d’Angers, s’il n’eût pris un bâton en lui disant : Belzebul, maître mouche,

  1. Marthe Brossier, de Romorantin, en 1599.
  2. Confess. catholiq. de Sancy, liv. I, chap. VI, pag. 352.