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BÉZE.

tournât imbu de sa doctrine, sans avoir ouï ce qui lui sera répondu [1]. Remarquez bien la parenthèse dont l’historien s’est servi [2] : rien ne marque mieux la faiblesse de l’esprit de l’homme. Un vieux cardinal, et plusieurs évêques, se scandalisent, veulent sortir, crient au blasphème ; et pourquoi ? parce qu’ils ont ouï dire à un ministre, que Jésus Christ n’est point sous les symboles du pain et du vin de l’Eucharistie quant à son corps ; car voilà à quoi se réduit cette expression tant offensive des oreilles de toute l’assistance : peut-on voir un scandale plus mal fondé, ni plus puérile ? Quand on enseigne que l’humanité de Jésus-Christ n’est présente qu’en un seul lieu tout à la fois, et qu’elle est toujours assise en paradis à la main droite de Dieu, il est évident que l’on soutient qu’elle est aussi éloignée du sacrement de l’Eucharistie, que le paradis est éloigné de la terre. Or les prélats du colloque de Poissi ne pouvaient pas ignorer que les ministres enseignent que l’humanité de Jésus-Christ est toujours en paradis à la main droite de Dieu, et qu’elle ne peut point être présente en plus d’un lieu à la fois ; et ils ne devaient pas attendre que Théodore de Bèze n’osât point exposer les sentimens de son parti : ils n’ont donc pas dû se scandaliser de son expression, (car encore un coup, elle n’ajoute quoi que ce soit à la simple et nue doctrine des ministres,) ou bien ils étaient allés à l’assemblée avec cette persuasion que les ministres trahiraient leurs sentimens, et ne chercheraient qu’à tromper le roi. Je ne vois qu’une chose qui puisse excuser l’irritation des prélats. On peut dire qu’il y a des expressions qui nous choquent, encore qu’elles ne signifient rien qui ne soit signifié par des expressions qui ne nous offensent pas. Par exemple, les parties que la pudeur défend de nommer peuvent être désignées par des noms honnêtes ; et cependant ces noms signifient la même chose que les noms qu’on appelle sales. Si l’on est choqué de ceux-ci, ce n’est pas à cause de la chose même qu’ils signifient ; mais à cause que l’on juge que celui qui les emploie contre l’usage ne nous porte pas le respect que la bienséance exige [3]. Sur ce pied-là, les évêques de Poissi se pouvaient plus offenser de la doctrine des ministres, représentée par une comparaison, que de la même doctrine représentée nuement et simplement ; mais alors, leur scandale n’était pas fondé sur le zèle de religion ; car fa foi, ni la divinité, ne peuvent pas être plus blessées par la comparaison que Bèze allégua, que par l’exposition la plus simple de la doctrine des protestans. Ce n’est donc point pour les intérêts de Dieu que l’on se pouvait scandaliser : c’était donc uniquement parce que l’on supposait qu’un petit ministre ne respectait pas assez humblement ses auditeurs, lorsqu’il osait se servir de certains termes. Ceux qui voudraient faire ainsi l’apologie de ces prélats leur attribueraient une vanité très-criminelle. Que faire donc ? Vaut-il mieux dire qu’ils agissaient comme des enfans, qu’ils ne s’offensaient pas des choses, mais des mots ? Cela ne leur ferait point d’honneur. Je suis surpris qu’un historien aussi grave que Mézerai ose dire que cette proposition de Bèze était emportée et choquante, que Béze en eut honte lui-même, qu’elle blessa horriblement les oreilles catholiques, que les prélats en frémirent d’horreur [4]. Il est visible que Mézerai trouve raisonnables ces frémissemens d’horreur : et il se rend par-là ridicule ; car c’est toute la même chose de dire le corps de Jésus-Christ n’est point présent au saint sacrement, et de dire, il en est éloigné d’une distance infinie [* 1].

(I) Il se trouva à la bataille de Dreux comme ministre. ] J’ajoute cette clause, afin qu’aucun de mes lecteurs ne soupçonne qu’il y assista pour se battre, et pour jouer de l’épée. Claude de Saintes lui fit des reproches là-dessus : voici comment on lui répondit. Interfui sanè prœlio, et inchoanti et desinenti (quidni enim hoc facerem ? en ritè vocatus) et quideni,

  1. * Joly contredit cette apologie de Bèze.
  1. Voyez Maimbourg, Histoire du Calvin., pag. 223, 224. Le Laboureur, Addit. à Castelnau, tom. I, pag. 763, rapporte toute la lettre de la reine.
  2. (Combien qu’il en eût bien dit d’autres aussi contraires et répugnantes à la doctrine romaine.) Bèze, Hist. ecclesiast., pag. 521.
  3. Voyez l’Art de penser, Ire. part., chap. XIV.
  4. Mézerai, Abrégé chron. à l’ann. 1561.