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BODIN.

autres chambres, et leur fit voir par plusieurs raisons le péril qu’il y avait à commettre à un petit nombre de personnes la décision de ce qui avait été demandé par tous les trois ordres du royaume ; que quand même les commissaires qu’on nommerait seraient à l’épreuve de la corruption, la présence du roi pourrait les intimider, les brigues et les instances des courtisans pourraient les séduire. On lui répondit, il répliqua, et enfin il gagna sa cause par la fermeté avec laquelle il fit entendre que le tiers état s’opposerait aux députations. Henri III fut fort fiché de cela, et en voulut du mal à Bodin. Itaque rex Bodinum, quem unicè diligebat, et ob raran eruditionem ac multam variarum rerum experientiam, dum cibum caperet, libenter audiebat, ab eo tempore non tum benigno vultu dignatus est, quòd ordinibus prioris sententiæ mutandeæ auctor extitisset, et eâ in re quantum ad circumagenda ordinum ingenia momenti haberet, minùs grato regi experimento docuisset [1]. Ce prince fit représenter aux états la nécessité où il était d’aliéner une partie de son domaine : Necessitate, quæ potentissimun : telum est, urgente, id licere contenderet, quippè cùm constet salutem populi supremam legem esse debere [2] ; mais ils rejetèrent cette proposition : et ce fut Bodin qui les y détermina principalement ; car les plus considérables députés, corrompus par des promesses, chancelaient déjà. Pessimum de domanio affectatæ necessitatis obtentu alienando commentum, Bodino præcipuè auctore (nam præcipui jam promissis corrupti nutabant,) evanuit, quod, si locum tunc habuisset, sub principe profuso, miserè dilapidatum fuisset [3]. Le même Bodin résista courageuseunent aux cabales des partisans de MM. de Guise, qui voulaient faire conclure la guerre contre les huguenots [4]. Inférons de ceci que M. de Mézerai se trompe, quand il assure que le roi loua les oppositions de Bodin à l’aliénation du domaine. Il confond deux choses qu’il aurait dû distinguer. La conduite de Bodin fut approuvée au conseil du roi, quand quelques villes se plaignirent de ce qu’il avait combattu la proposition de ne point souffrir deux religions dans le royaume. Homines à factiosis subornati venerunt, qui Bodinum contra mandata sua intercessisse dicerent, quibus in consistorio region auditis nihilominùs pronunciatum est, Bodinum nihil nisi rectè fecisse [5]. Cela fut antérieur aux deux affaires dont M. de Thou vient de nous parler, et qui firent perdre à Bodin les bonnes grâces de Henri III. Remarquons aussi une contradiction de M. de Thou. Il dit dans la page 183, que Bodin ayant aperçu que ses remontrances contre les complots de ceux qui voulaient enfreindre les édits de pacification seraient inutiles, s’abstint de parler sur cette matière. Cùm videret homo futuri providus, conjuratione fuctâ eò animos inclinare, et fatali regis ac consiliariorum ejus cæcitate effici, ut ab illis, qui prohibere poterant, præposterâ prudentiâ in eâ re dissimularetur, hujusmodi publicis sibi perniciosis et in publicum nihil profuturis admonitionibus deinceps abstinuit [6], Mais dans la page 158, il nous apprend que ce même jurisconsulte s’opposa vigoureusement à la faction de MM. de Guise, lors même que les cahiers des états ayant été présentés au roi, il semblait que la commission des députés était expirée. L’opposition roulait sur le dessein de renouveler la guerre contre ceux de la religion. Les partisans du duc de Guise avaient gagné le clergé et la noblesse : ces deux corps formaient souvent des conventicules pour éloigner les propositions de paix. Bodin, qui, à cause que les députés de Paris étaient absens, se voyait alors à la tête du tiers état, s’opposa avec beaucoup de courage à ces pratiques [7] ; et quand on lui dit que la chose avait été ainsi résolue dans les états et que l’assemblée n’avait plus d’autorité, « Vous êtes donc des rebelles, leur répondit-il hardiment, « puisque vous reconnaissez que votre députation est finie, et que vous ne laissez pas de vous assembler ; mais je suis d’un autre avis : nous pouvons encore présenter au roi

  1. Idem, ibid.
  2. Idem, Ibidem.
  3. Idem, ibidem, pag. 188, col. 1.
  4. Idem, ibidem, col. 2.
  5. Idem, ibidem, pag. 183.
  6. Idem, ibidem.
  7. Summa fiduciâ intercessit, ibid., p. 188.