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CASSIUS.

exil. C’est là en effet le véritable moyen de lever le doute du Giraldi, et de réfuter l’opinion de Glandorp et de Vossius : il n’y a qu’à les renvoyer à la lettre même d’Ovide. Ils la verront datée de la quatrième année de son exil, et adressée à un homme qui jouissait de tous les plaisirs de Rome et de tous les agrémens de sa maison de campagne ; ce qui, en ce temps-là, ne convenait aucunement à l’orateur Cassius, relégué en l’île de Crète. Que si le doute de Giraldi regardait la seconde lettre du IVe. livre de Ponto, on peut le lever aussi par la lettre même, vu qu’elle s’adresse à un poëte qui était en prospérité.

C’est qu’il faut savoir qu’outre l’épître VIII du premier livre de Ponto, on en voit une [1] au Ve. livre écrite à un Sévérus, qui était poëte de profession, comme il est aisé de le recueillir de la manière dont Ovide lui écrit. Apparemment c’est Cornélius Sévérus, comme Vossius [2] et le père Briet [3] l’ont cru. Ainsi la VIIIe. lettre du premier livre de Ponto, et la IIe. du livre IV auraient été écrites, selon Vossius, au même ami. Si cela est, il ne faut pas croire que ces lettres soient rangées selon l’ordre du temps ; la IIe. du IVe. livre est de plus vieille date que la VIIIe. du premier, puisque dans celle-là Ovide fait des excuses à son ami de ce qu’il ne lui a point encore écrit. De plus, considérant son ami sous diverses occupations dans la VIIIe. lettre du premier livre, il ne dit rien qui fasse sentir qu’il écrivait à un poëte. Le cas serait des plus singuliers pour des personnes qui se piquaient de poésie, et qui s’y appliquaient autant qu’Ovide et Cornélius Sévérus. Il y a donc quelque petit lieu de douter si ces deux épîtres sont pour la même personne ; mais il est sûr, que ni l’une ni l’autre n’ont été écrites à Cassius Sévérus,

(H) On peut former des difficultés sur le temps auquel Cassius fut puni de ses satires. ] Le calcul de saint Jérôme touchant l’exil de ce satirique est capable de bien brouiller d’autres calculs. Cassius est à juste titre nommé satirique : il pourrait même passer pour martyr de la médisance ; puisque s’étant attiré par ses satires un rude exil, et ne changeant point de ton après sa disgrâce, il se fit de nouveaux ennemis, sans apaiser ceux qu’il avait déjà irrités [4] ; ce qui lui attira une plus rude tempête sur le dos, et une pauvreté si excessive, qu’il n’avait qu’à peine de quoi couvrir sa nudité, aux parties que la honte fait cacher le plus nécessairement [5]. Il mourut dans ce misérable état l’an 25 de son exil, selon saint Jérôme : or, comme c’était l’an 19 de l’empire de Tibère, il faut que cet exil ait commencé cinq ou six ans avant qu’Auguste mourût. Mais comment accorder cela avec Dion, qui ne fait punir par Auguste quelques faiseurs de libelles, et donner des ordres pour réprimer la licence satirique, qu’en l’an de Rome 765, c’est-à-dire, deux ans avant la mort de cet empereur ? Il ne faut point douter que ces procédures et ces règlemens ne soient la même chose qui a fait dire à Tacite, qu’Auguste indigné contre les libelles de Cassius Sévérus fut le premier qui ordonna que l’on informât par la loi de Majestate contre ces sortes décrits. Il ne faut point douter non plus que cet écrivain n’ait été chassé de Rome, au même temps à peu près que l’empereur fit ces nouvelles ordonnances. Ainsi, ou la chronologie de saint Jérôme n’est pas juste, ou celle de Dion ne l’est pas. Suétone ne nous tirera point de peine : il nous dira bien qu’Auguste fit de semblables ordonnances, mais non pas en quelles années de son empire. Tacite n’en remarque point non plus le temps : il s’est contenté d’en indiquer l’occasion.

S’il est difficile de fixer l’époque de l’édit d’Auguste contre les libelles, il ne l’est pas, ce me semble, de trouver en général qu’il le publia les dernières années de sa vie. D’où paraît que ceux-là se trompent, qui veulent qu’Horace y ait eu égard, quand il

  1. C’est la seconde.
  2. De Poëtis lat., pag. 34.
  3. Idem, ibid., pag. 28.
  4. Per immodicas ininicitias ut judicio jurati senatûs in Cretam amoveretur ; effecerat. Atque illic eadem actitando, recentia veteraque odia advertit, bonisque exutus, interdicto igni atque aqua, saxo Seriphio consenuit. Tacitus, Annal., lib. IV, cap. XXI.
  5. XXV exilii sui anno in summâ inopiâ moritur, vix panno verenda contectus. Chron. Eusebii.