Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
378
DANTE.

tertiâ parte tractatus sui de monarchiâ conatus est deprimere auctoritatem romani pontificis supra imperatores, seu reges Romanorum in temporalibus, quem idem Antoninus pluribus confutat[1]. Un véritable disciple de la Sorbonne, et un vrai enfant de l’église gallicane, n’auraient point parlé de la sorte. Notez que cet annaliste n’ose point spécifier les autres erreurs que saint Antonin a observées dans notre poëte. Le Poccianti n’a pas été si discret : car il nous apprend que saint Antonin a censuré Dante d’avoir publié le limbe des petits enfans, et d’avoir considéré comme une bassesse d’âme l’abdication volontaire du pape Célestin [2]. Il ajoute qu’en cela, et dans le dogme de l’indépendance des empereurs, ce grand poëte mérite d’être blâmé. In his culpandus venit vates iste pergloriosissimus[3]. Il est assez simple pour assurer que les saintes lettres, et que les lettres humaines expliquent partout combien l’opinion de l’indépendance est erronée ; car, dit-il, comme la lune est illuminée par le soleil, ainsi la puissance temporelle est illuminée par la puissance spirituelle. Voici ses paroles ; il est bon de les rapporter, afin qu’aucun lecteur ne me soupçonne de supercherie. Cæterùm in tertiâ parte Monarchiæ affirmat romanos imperatores nullam dependentiam habere à papâ, sed à solo Deo, nisi in spectantibus ad forum animarum, non autem in rebus temporalibus : quod quam erroneum si, ubique locorum in humanis et divinis literis explicatur ; sicut namque luna illuminatur à sole, ita potestas temporalis à spirituali[4].

M. du Plessis Mornai rapporte plusieurs opinions de Dante, qui ne sont guère conformes au papisme[5] : « Il fit un traité intitulé Monarchie, où il prouve que le pape n’est point au-dessus de l’empereur, et n’a aucun droit sur l’empire ; directement contre la Clémentine pastoralis, qui prétend l’un et l’autre, en vient mesmes jusques à dire en son Purgatoire :

Di hoggi mai che la Chiesa di Roma
Per confonder in se due reggimenti
Cade nel fango et se bruta et la soma.

Di maintenant que l’église de Rome,
Qui fond en un les deux gouvernemens,
Tombe en la fange, et se gaste, et la somme.


Se perd-elle mesme et la charge qui lui est commise. Réfute aussi la donation de Constantin, qu’il maintient n’estre de fait, et n’avoir peu de droict ; et pour ce fut par aucuns condamné d’hérésie. Que les decretistes, gens ignorans de toute bonne theologie et philosophie, afferment, que les traditions de l’église sont le fondement de la foy ; chose execrable, veu qu’on ne peut douter que ceux qui devant les traditions de l’eglise ont creu au Christ fils de Dieu, soit à venir, soit venu souffrir pour nous, et esperans, ont esté fervens en charité, ne soient ses coheritiers en la vie éternelle. En son poëme du Paradis en italien, se plaint, que le pape de pasteur est devenu loup et a fait desvoier les brebis ; que pour ce l’Évangile et les docteurs sont délaissés et ne s’estudient qu’aux decretales ; qu’à cela sont attentifs le pape et les cardinaux ; ne vont point leurs pensées à Nazareth, où l’ange Gabriel ouvrit ses aisles, mais au Vatican et autres lieux choisis de Rome, qui ont esté le cemetiere à la milice qui suivit sainct Pierre, et en ont proprement à Rome enseveli la doctrine ; que jadis on faisoit la guerre à l’église par glaives, mais que maintenant on la fait en lui ostant le pain, que Dieu lui donne, et qu’il ne desnie à personne, sçavoir la prédication de sa parole. Mais toi, dit-il, adressant sa parole au pape, qui n’escris que pour effacer, ou par un chancelier, pense que Pierre et Paul, qui moururent pour la vigne du Seigneur que tu gastes, vivent encor ; mais tu ne connois ni l’un ni l’autre. En un autre lieu, que c’est chose indigne, que l’escriture divine soit du tout mise en arriere, ou violentée ou torse ; qu’on ne considere point combien de sang elle a cousté à semer au monde ; combien elle est agreable à qui s’en accoste avec hu-

  1. Spond., ad ann. 1321, num. 7.
  2. Pocciantius, de Script. Flor., pag. m. 45.
  3. Idem, ibidem.
  4. Pocciantius, de Scriptor. Flor., pag. 45.
  5. Du Plessis, Mystère d’iniquité, pag. 419, 420.