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DANTE.

Che’n su la scala porta il santo uccello :
C’havra ia te si benigno riguardo,
Che del far e del chieder tra voi due
Fia prima quel, che tra gli altri è pit tardo[1] ;


et qu’il y avait près de six ans qu’on l’avait banni[2], lorsqu’il se réfugia chez le marquis Malespine. Le sieur Freher conte qu’il fut d’abord à Paris, et qu’il en sortit pour aller trouver le roi d’Aragon qui l’appelait, et qui le combla de bienfaits ; et qu’ensuite il fut attiré par Can de l’Escale, qui se plaisait beaucoup à l’entretien de savans, et qui lui donna de belles marques de sa libéralité[3]. Ce récit n’est pas meilleur que celui de Volaterran. J’avoue que Boccace observe que Dante fut fort aimé de Fridéric d’Aragon, roi de Sicile[4].

Pour achever mon commentaire, il me reste à dire, que Dante n’eut pas le bonheur de plaire long-temps à son patron de Vérone. On ne lui cacha pas qu’on se dégoûtait de lui. Le grand Can de l’Escale lui dit un jour, c’est une chose étonnante qu’un tel qui est fou nous plaise à tous, et se fasse aimer de tout le monde, ce que vous qui passez pour sage ne pouvez faire. Il n’y a point là de quoi s’étonner, répondit Dante : vous n’admireriez pas une telle chose, si vous saviez combien la conformité des esprits est la source de l’amitié. Chacun voit que cette réponse était trop choquante, pour n’achever pas de ruiner ce poëte auprès du prince de Vérone. Vous allez lire ce fait en latin, et un peu plus étendu. Dantes Aligherius, ces paroles sont de Pétrarque[5], et ipse concivis nuper meus, vir vulgari eloquio clarissimus fuit, sed moribus parùm per contumaciam, et oratione liberior quàm delicatis ac studiosis ætatis nostræ principum auribus atque oculis acceptum foret. Is igitur exul patriâ, cùm apud Canem magnum, commune tunc afflictorum solamen ac profugium, versaretur, primo quidem in honore habitus, deindè pedetentim retrocedere cœperat, minùsque in dies domino placere. Erant in eodem convictu histriones ac nebulones omnis generis, ut mos est, quorum unus procacissimus obscænis verbis ac gestibus, multùm apud omnes loci ac gratiæ tenebat. Quod molestè ferre Dantem suspicatus Canis, producto illo in medium, et magnis laudibus concelebrato, versus in Dantem : miror, inquit, quid causæ subsit, cur hic cùm sit demens, nobis tamen omnibus placere novit, et ab omnibus diligitur, quod tu qui sapiens diceris non potes ? Ille autem : Minimè, inquit, mirareris, si nôsses quòd morum paritas et similitudo animorum amicitiæ causa est.

(L) On conte une chose singulière de son attention à la lecture. ] Il entra un jour chez un libraire, dont la boutique donnait sur la grande place de la ville. Son dessein était de voir quelques jeux publics qui se devaient célébrer ; mais ayant rencontré un livre qu’il avait envie de consulter, il s’appliqua à le lire de telle sorte que s’en retournant chez lui, il protesta avec serment qu’il n’avait rien vu ni ouï de tout ce qui s’était fait, et qui s’était dit pendant la célébration des jeux. Dantem Florentinum ferunt ad spectacula ductum apud bibliopolam, quòd ex ejus tabernâ in forum prospectus esset, consedisse, librumque, cujus fuisset cupidus, invenisse, quem tam avidè attentèque legerit, ut domum rediens juramento testatus sit, nihil se vidisse aut audiisse ex iis, quæ in foro dicta factaque essent, quemadmodum de eo scribit Æneas Sylvius[6].

  1. Dante, au chant XVII du Paradis, pag. m. 445.
  2. Voyez le chant VIII du Purgatoire, pag. 138.
  3. Paulus Freher., in Theatro, pag. 1422. Il cite les cinquante Vies de Boissard.
  4. Boccat., Genealog. Deorum, lib. XIV, cap. XI, apud Papyr. Masson., Elogior. tom. II, pag. 214.
  5. Petrarcha, Rerum memorandarum lib. IV, apud Papyr. Masson., ibid., pag. 22, 23.
  6. Philippus Carolus, Animadv. in Aul. Gellium, pag. 592.

DANTE (Pierre-Vincent) était de Pérouse, et de la famille des Rainaldi. Ce fut un homme de beaucoup d’esprit : il entendait les belles-lettres, les mathémathiques et l’architecture, et il composait de si beaux vers à l’imitation de Dante, que l’on jugea qu’il faisait revivre en quelque façon la sublimité de ce