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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/458

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DÉJOTARUS.

lui persuader. Hic verò adolescens.... cùm in illo nostro exercitu equitaret cum suis delectis equitibus, quos unà cum eo ad Pompeium pater miserat, quos concursus facere solebat ? quàm se jactare ? quàm se ostentare ? quàm nemini in illâ caussâ studio et cupiditate concedere ? Cùm verò, exercitu amisso, ego, qui pacis auctor semper, post Pharsalicum prælium, suasor fuissem armorum non deponendorum, sed abjiciendorum, hunc ad meam auctoritatem non potui adducere, quòd et ipse ardebat studio ipsius belli, et patri satisfaciendum esse arbitrabatur [1]. Ajoutez à cela que Cicéron, dans son plaidoyer pour Déjotarus, ne dit pas un mot qui insinue que le beau-fils de ce prince fut homme de lettres. Il n’aurait pu honnêtement garder ce silence, si ce beau-fils eût été aussi illustre par ses livres que l’a été le chronographe Castor. On me dira que ce silence a été une des adresses de la rhétorique de Cicéron : il a craint que la doctrine du père ne fût une présomption favorable pour le fils qui était l’accusateur de Déjotarus ; mais cette objection est sans force. Cicéron aurait pu aggraver en cent manières la faute du fils, et même celle du père, par la considération de la science de ce dernier. C’est peut-être, me dira-t-on, que le gendre de Déjotarus n’avait pas encore publié ses livres. Mais d’où vient donc qu’il est cité par Apollodore ? et quand est-ce donc qu’il les aurait mis au jour ? Déjotarus, qui ne survécut que de trois ou quatre années tout au plus au procès qu’il eut à Rome, ne le fit-il pas tuer [2] ? Outre cela, je remarque que Cicéron pose en fait que le gendre de Déjotarus ne fut connu dans le monde, que par l’honneur que lui fit Déjotarus de lui accorder sa fille. Avant cela, il rampait dans les ténèbres. On ne parle point ainsi d’un grand auteur. L’énorme, la prodigieuse distance qui se trouve entre lui et les souverains, ne fait pas qu’on puisse dire qu’il est inconnu, qu’il vit dans l’obscurité ; et rien ne me persuaderait davantage qu’il avait acquis une extrême réputation, que de voir qu’un prince le choisirait pour son gendre. Je crois donc que si le savant Castor avait épousé la fille de Déjotarus, il serait parvenu à cet honneur par l’éclat de son savoir ; et par conséquent, que Cicéron n’aurait osé dire de lui ce qu’il en a dit : Rex Dejoturus vestram familiam abjectam et obscuram de tenebris in lucem vocavit : quis tuum patrem anteà qui esset, quàm cujus gener esset, audivit [3] ? Ma troisième raison est qu’y ayant plusieurs anciens écrivains qui ont cité Castor, aucun ne le qualifie de gendre de Déjotarus. Cependant, on n’oublie guère ces sortes de qualités ; car comme elles sont fort rares parmi les auteurs, et que le lustre qu’elles communiquent à celui qui les possède, se répand en quelque façon sur toute la république de lettres, on se plaît à dire quand on le peut, que l’auteur qu’on cite est fils ou beau-fils de roi. Si jamais on a dû se souvenir de cette rare circonstance, c’est lorsque le roi beau-père a été aussi connu des gens doctes, que l’a été Déjotarus depuis la harangue de Cicéron. D’où viendrait donc que le gendre de Déjotarus ne serait jamais cité sous ce titre ? Varron [4], Josephe, Plutarque, Justin Martyr, Tatien, Eusèbe, saint Cyrille, Ausone, Étienne de Byzance, ont cité Castor, et aucun d’eux ne s’est avisé de le nommer gendre de Déjotarus. Si je ne me trompe, il n’y a que Suidas qui l’a fait. Mais où sont les gens qui ignorent la confusion prodigieuse de son Dictionnaire ? Presque tout s’y trouve à bâtons rompus : combien de fois y divise-t-on ce qui devait être réuni, et y joint-on ce qui devait être séparé ? On a déjà vu que Suidas prend Déjotarus pour un sénateur romain.

Ce que j’ai dit concernant l’application continuelle avec quoi Castor a dû étudier, paraîtra très-vraisemblable à tous ceux qui pèseront la nature de ses ouvrages. Il paraît qu’il travailla à réformer la chronologie, et à marquer les erreurs des anciens historiens. On le cite [5] touchant les royaumes de Sicyone, d’Argos et

  1. Cicer., pro Dejotaro, ibid.
  2. Strab., lib. XII, pag. 391.
  3. Cicer., pro Dejotaro, cap. XI.
  4. In libris de Vitâ populi roman. On trouvera dans Vossius, de Histor. græcis, pag. 158, 159, en quels lieux les autres auteurs que je nomme citent Castor.
  5. Eusebius, in Chron.