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DEMPSTER.

quid sit oblivio [1]. J’ai bien de la peine à croire qu’en cela il ne donnât point dans la hâblerie. On prétend qu’il se souvenait des endroits les plus cachés de l’antiquité. Nihil adeò abditum in antiquitatis monumentis cujus non meminisset, ita ut Franciscus Cupius vir in litteris omni comparatione major Dempsterum magnam bibliothecam loquentem compellare consueverit [2]. Cela étant, il méritait bien l’éloge de grande bibliothéque parlante, que certains auteurs lui donnent. Comme il était extrêmement laborieux, car il avait accoutumé de lire quatorze heures de suite chaque jour [3], il fallait nécessairement qu’il sût une infinité de choses. Si cela lui avait permis d’écrire avec une grande politesse, et avec toutes les beautés d’un jugement très-exquis, il eût été un plus grand prodige que ne l’était sa mémoire ; mais ce n’était pas son fait que d’écrire judicieusement et poliment [4]. Je me souviens d’un passage de Balzac, que je ne renverrai point à une meilleure occasion. Si nos gens de cour, dit-il, ne peuvent souffrir notre jeune docteur, qui a sacrifié aux Grâces, de quelle façon traiteraient-ils le farouche Heinsius, s’il lui prenait envie de faire son entrée dans les cabinets ? Avec combien de huées en aurait-il chassé le vilain Crassot, et l’indécrotable Dempstérus ? Qui pourrait sauver des coups d’épingles Féderic Morel, et Théodore Marcile, ces deux célèbres anti-courtisans, qui tombaient toujours du ciel en terre, et parlaient une langue qui n’était ni humaine, ni articulée, bien loin d’être commune, et intelligible ? Ces gens-là étaient rudes et sauvages, et néanmoins, ils avaient leur prix, aussi-bien que les diamans bruts [5].

(F) Il publia sans pudeur je ne sais combien de fables. ] Pour faire honneur à l’Écosse, il lui a donné non-seulement des écrivains qui sont ou anglais ou irlandais, mais aussi des livres qui n’ont jamais existé. Dempsterus in suum scriptorum Scotiæ catalogum pro libidine suâ Anglos, Wallos, et Hibernos passim retulit, et ad assertiones suas firmandas finxit sæpissimè authores, opera, locos et tempora [6]. Voici ce que le savant Ussérius disait de Dempster. Commenti genus est illi homini non minus familiare, quàm librorum qui nunquam scripti sunt ex ipsius otioso deprompta cerebro recensio [7]. Voyons les paroles d’un troisième témoin : Quod verò Dempsterus, Hist. Scot. lib. 6 num. 536 affirmat fastidium nostrum Scotorum chronicon scripsisse, id homini nugivendulo, et in gentis suæ rebus penè sernper ineptienti condonandum est [8]. Qu’on ne dise pas qu’il n’y a que des auteurs de delà la mer qui jugent si désavantageusement de lui ; car leur jugement est approuvé par les catholiques mêmes des autres nations. Je ne citerai que M. Baillet, prêtre français. Thomas Dempster, dit-il [9], nous a donné une histoire ecclésiastique d’Écosse en dix-neuf livres, où il parle beaucoup des gens de lettres de cette contrée. Mais quoiqu’il fit habile d’ailleurs, il n’en avait ni le sens plus droit, ni le jugement plus solide, ni la conscience meilleure. Il eût voulu que tous les savans fussent écossais ; il a forgé des titres de livres qui n’ont jamais été mis au monde, pour relever la gloire de sa patrie ; et il a commis diverses autres fourbes qui l’ont décrié parmi les gens de lettres. Ce sont à peu près les plaintes que font de lui Ussérius [* 1], Waræus [* 2], le père Labbe [* 3], Sandius [* 4], Vic. Antoine [* 5], etc. Le père Labbe, à l’endroit cité par

  1. (*) Jacob. Usserius, de Britanu. eccles. Primord., cap. XIII, pag. 463.
  2. (*) Jacob. Waræus, Rerum Hibernic.
  3. (*) Ph. Labbe, Biblioth. Bibl., pag. 159.
  4. (*) Christoph. Sand., Animadv. in Voss., pag. 175.
  5. (*) Nicol. Anton., Biblioth. hisp., præfat., pag. 34.
  1. Miræus, de Script. sæc. XVI, pag. 147.
  2. Idem, ibid.
  3. Erat hic, uti refert Matthæus Peregrinus, indefessus in legendo, ita ut quatuordecim diei horas in librorum lectione continuare soleret. Idem, ibid.
  4. Stylus ei copiosus, confragosus tamen. Idem, ibid.
  5. Balzac, lettre III à Chapelain, lib. IV, pag. m. 209.
  6. Jac. Waræus, de Scriptor. Hiberniæ, pag. 119, apud Pope Blount, Censura Authorum, pag. 643.
  7. Jacob. Usserius, de Britan. eccles. Primord., pag. 463, apud eumdem, ibidem.
  8. Gul. Cave, ad ann. chron., 420, apud eumdem, ibidem.
  9. Jugem. des Savans, tom. II, pag. 188.