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CHARLES-QUINT.

le jour que de notre temps, il n’y ait des vérités ; mais après tout, pendant que l’on ne sait pas d’où ils viennent, la prudence ne permet pas de s’y arrêter : tant s’en faut qu’un auteur grave puisse adopter ce qu’il y trouve. Pour l’ordinaire, ces livrets sont les égouts des nouvellistes de la place Maubert : ceux qui les forgent, étant sûrs de ne rendre jamais compte, avancent témérairement tout ce qu’ils entendent dire. Nous voyons ici une fausseté manifeste touchant l’archevêque de Tolède. Il ne gagna point sa cause, il fut obligé d’abjurer, il fut suspendu pour cinq ans [1], et il en avait soixante-treize : pouvait-on s’imaginer qu’il vivrait plus de cinq ans après une si longue prison ? et en tout cas, on eût attendu à s’en défaire, que les cinq ans fussent sur le point d’expirer.

[* 1] On peut même soutenir que tout ce qui fut débité dans l’apologie du prince d’Orange n’est pas vrai. Grotius assure que celui qui la dressa, et celui qui avait dressé l’arrêt de la proscription de ce prince, mêlèrent le vrai et le faux dans leurs digressions [2] : Adversùs novi moris edictum Arausionensis apud ordines Belgicos et Christianos principes libello se defendit, adjuvante Petro Villerio [3], homine gallo, qui subactum rebus forensibus ingenium, ad religionem docendam, et hinc ad intimæ Arausionensis consilia transtulerat. Extat scriptum utrumque pari acerbitate, quâ post crimina ad causam pertinentia, hinc animum ingratum et perduellem, indè sævam ac perfidam dominationem, VERIS FALSISQUE NARRATIONIBUS PERMIXTIS, porrò ad alia, rixantium more, prolabebantur.

(U) Il était beaucoup plus sobre que chaste. ] « On raconte....... qu’il buvoit toujours trois fois à son dîner et à son souper, fort sobrement pourtant en son boire et en son manger. Lorsqu’il couchoit avec une belle dame, (car il aimoit l’amour, et trop pour ses gouttes) il n’en eût jamais parti qu’il n’en eût joui trois fois [4]. » Voilà une grande inégalité dans le même nombre : trois prises de vin à table, trois prises d’amour au lit, ne méritent point la même qualification ; celles-là sont un acte de modération, celles-ci sont un excès. Au reste, c’était le moyen de ne se point exposer à ce reproche :

Inachia langues minùs ac me.
Inachiam ter nocte potes : mihi semper ad unum
Mollis opus [5] .........


Afin que mes lecteurs aient de quoi s’exercer, en examinant si Brantôme est plus croyable que d’autres, je dirai que Guillaume Zénocarus loue non-seulement la frugalité de Charles-Quint, mais aussi la chasteté. Cet empereur, dit-il [6], ferma lui-même souvent ses fenêtres, lorsqu’il voyait venir de belles femmes, ou lorsqu’il savait que de belles femmes devaient passer. L’auteur qui rapporte cela [7] dit que ce prince en usait ainsi pendant la vie de l’impératrice. D’autres ont remarqué qu’il garda la foi conjugale [8], et qu’il cachait autant qu’il pouvait ses amourettes [9] : Si non castè, saltem cauté.

Ordinairement on ne lui donne que deux enfans naturels, Marguerite duchesse de Parme, et don Juan d’Autriche ; mais M. Imbof rapporte que Bernard Justiniani, dans son histoire d’Espagne, lui en donne deux autres, savoir, Priam Conrad d’Autriche, et encore un Juan d’Autriche qui mourut l’an 1530, à l’âge de sept ans [10]. Je crois que ce Priam Con-

  1. (*) Ces paroles, on peut même... Grotius assure... mêlèrent le vrai avec le faux, etc. sont contraires, ce me semble, à celles qui sont ci-dessus dans la page précédente : Si l’on trouvait cela dans l’apologie, etc. J’ajoute que le témoignage de Grotius doit être suspect. Rem. crit.
  1. Voyez Varillas, préface du Ve. tome de l’Histoire de l’Hérésie.
  2. Grotius, Annal. belg., lib. III, sub fin., pag. m. 99, 100.
  3. Nous dirons dans la remarque (E) de l’article de Languet, tome IX, qu’on a cru que cette Apologie du prince d’Orange fut composée par Languet.
  4. Brantôme, Capitaines étrangers, tom. I, pag. 18. 19.
  5. Horat., lib. Epod., od. XII, vs. 14.
  6. Zenocarus, in Vitâ Caroli V, lib. III, apud Castritium, de Virtutibus Princ. Germaniæ, pag. 224.
  7. Idem, lib. V, apud eumdem.
  8. (conjuge) vivente servâsse Carolum perquam sanctè conjugalem fidem fama est. Strada, dec. I, lib. X, pag. m. 612.
  9. Thuan., lib. XXI, pag. 431.
  10. Jacobus Wilhelmus Imbofius, Notitia Germaniæ Procerum, pag. 11, edit. Tubing., 1693.