Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
CHARLES-QUINT.

à être pape. ] Brantôme, que j’ai déjà cité plusieurs fois, est le seul auteur où j’aie lu cette particularité [* 1]. S’il eût pu accomplir, dit-il [1], un dessein qu’il avait de se faire pape, comme il voulait, il eût encore mieux éclairé le monde, comme étant tout divin ; mais il ne le put pas par les voix des cardinaux : comme fut le duc Amédée de Savoie, qui fut élu, et puis se retira en son monastère de Ripaille, et fit l’empereur aussi au sien, lequel pourtant j’ai ouï dire que s’il eût eu encore des forces du corps comme de son esprit, il fût allé jusqu’à Rome avec une puissante armée, pour se faire élire par amour ou par force ; mais il tenta ce dessein trop tard, n’étant si gaillard comme d’autres fois ; aussi Dieu ne le permit, car il voulait rendre le papat héréditaire (chose pour jamais non ouïe) en la maison d’Autriche. Quel trait, et quel homme ambitieux que voilà ! Ne pouvant donc être pape, il se fit religieux ; c’était bien s’abaisser. S’il eût au moins tâté de ce papat, comme ce duc, encore mieux pour lui, et eût pu dire en mourant, qu’il avait passé par tous les degrés de la bonne fortune, et pris tous les ordres de la grandeur. Le chancelier de Chiverni remarque [2] qu’on avait cru que le roi Philippe II se démettrait de ses états, et qu’il se ferait donner un chapeau de cardinal, afin de se faire élire pape à la première occasion.

(AA) Il se servit d’artifices dans la rébellion de Naples. ] Il récompensa les chefs des rebelles, et ne donna rien à ceux qui l’avaient servi fidèlement. Omnes qui Cæsarem adjuvârunt, qui bona, qui vitam pro eo deposuerunt irremunerati remanserunt : qui adversæ factionis hostes illius nati sunt, qui arma contra illum tulerunt, omnes fuerunt optimè et secundùm vota sua expediti. C’est ce que l’on trouve dans les lettres d’Agrippa [3]. Cette conduite paraît d’abord imprudente ; car elle est propre à dégoûter les bons sujets, et à enhardir les factieux. Mais il faut que l’expérience ait enseigné le contraire ; car les plus grands princes se sont servis et se servent de cette méthode. Ils négligent ceux dont ils se tiennent assurés, et travaillent principalement à gagner ceux dont ils se défient. Les plaintes semblables à celles du frère de l’enfant prodigue sont fréquentes parmi les fidèles sujets dans les pacifications des troubles. Du temps de Henri-le-Grand, les ligueurs obtinrent bien plus de charges [* 2] que les anciens serviteurs [4]. C’est une politique qui remédie au présent, et c’est ce qu’on cherche : on met en risque l’avenir, mais on espère qu’alors Dieu y pourvoira, et enfin ce n’est pas un mal certain.

(BB) Ses historiens... ont entassé beaucoup de prodiges : ….. ils disent que le soleil s’arrêta. ] Je n’ai point en espagnol la relation de Louis d’Avila ; mais voici ce qu’elle porte dans la traduction latine [5]. L’auteur parle comme témoin oculaire : Fæderico etiam futura clades evidenti prodigio denuntiata est. Sol enim velut sanguinolentus apparuit, et, quod mirabilius est, perindè ac si cursum tardâsset, spatiumque diei addidisset, quùm intentius intueremur altior, quàm pro horarum ratione, ferri visus est. Constans omnium hâc de re opinio est, nec ego certè refellere ausim [6]. Florimond de Rémond a rapporté le même passage [7] selon la version française que l’on avait pu-

  1. * Leduchat ajoute que ce projet de Charles-Quint est aussi rapporté dans une lettre de l’empereur Maximilien Ier. à Marguerite d’Autriche sa fille : cette lettre est la Ire. du tome IV des Lettres de Louis XII, etc., Bruxelles, 1712, 4 vol. in-12.
  2. (*) Donnons ici ce qu’a dit sur le même sujet Jean Névizan (liv. IV, n. 152, de la Forêt Nuptiale) : Quandoque, dit ce facétieux écrivain, princeps ut immicum vincat obsequio…… eum plus extollit servitore suo, adeò quod quandoque boni servitores indignati dicant : si quispiam à principe nostro velit quicquam obtinere, oportet quòd in eum aliquam committat proditionem. Le discours de la Ruffie (liv. I, chap. V, de la Conf. de Sancy) semble avoir en vue ces paroles. Rem. crit.
  1. Capitaines étrangers, tom. I, pag. 36.
  2. Mémoires, pag. 203.
  3. Dans la Xe. lettre du VIIe. livre, pag. 1010. Elle fut écrite à Agrippa par un ami, et est datée de Ratisbonne, le 17 juillet 1532.
  4. Voyez l’Apologie de ce prince, attribuée à la duchesse de Rohan. Elle est imprimée avec le Journal de Henri III, dans l’édition de 1693. J’en parle dans l’article Parthenai (Catherine de), remarque (F). Voyez aussi la remarque (P) de l’article de Henri IV.
  5. Faite par Gulielmus Malinæus.
  6. Ludovic. ab Avilâ et Zunnigâ, Comment. de Bello Germ., lib. II, folio 126, edit. Antuerp., 1550.
  7. Flor. de Rémond, Hist. de l’Héresie, liv. III, chap. XVI, pag. m. 362.