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ÉPICURE.

nient la providence, et qui établissent pour leur dernière fin leur propre satisfaction, ne sont nullement capables de vivre en société ; que ce sont nécessairement des traîtres, des fourbes, des empoisonneurs, des voleurs, etc. Toutes ces belles doctrines ne sont-elles pas confondues par ce seul passage de Cicéron ? Une vérité de fait, comme celle que Cicéron vient d’attester, ne renverse-t-elle pas cent volumes de raisonnemens spéculatifs ? Voici la secte d’Épicure dont la morale pratique sur les devoirs de l’amitié ne s’est nullement démentie pendant quelques siècles : et nous allons voir qu’au lieu que les sectes les plus dévotes étaient remplies de querelles et de partialités, celle d’Épicure jouissait d’une paix profonde. On y suivait sans contestations, sans contradictions, la doctrine du fondateur[1]. Dolet profectò mihi eos (successores Platonis) omnia molitos non esse, ut plenam sibi atque integrum in omnibus cum Platone consensionem defenderent. Et eâ quidem Plato dignus erat, qui magno illo Pythagorâ ut melior non fuerit, non fuit tamen fortassè deterior : quem discipuli quòd sequuti omnes ac venerati fuerint, id etiam egere potissimùm, ut summo apud omnes in pretio habeatur. Hoc ipsum Epicurei, perperam illi quidem, sed tamen cùm intelligerent, nullâ unquam in re ab Epicuro dissidere visi sunt, sed potiùs eadem omninò se cum sapiente suo sentire professi, jure proptereà id nominis habuêre. Quin etiam, qui longissimo deinceps intervallo consequuti Epicurei sunt, ii nec abs se mutuo, nec ab eodem Epicuro tantillùm, quod quidem meminisse attineat, discessere. Imò sceleris apud eos, vel potius impietatis ille damnetur, qui novi quippiam incexerit. Quare nemo prorsùs id audeat. Sed eorum dogmata ob constantem illam omnium inter se perpetuam-que concordiam, in altissimâ quâdam et tranquillissimâ pace versantur. Ita hæc Epicuri secta veræ cuidam reipublicæ persimilis est, quam ab omni seditione remotissimam, mens quædam una communis, unaque sententia moderetur. Quam illi disciplinam et anteà sequuti sunt multi perlibenter, et sequuntur etiamnum, atque adeò, ut simillimum veri est, in posterum sequentur. At stoïcos inter factiones extitêre, quæ ab ipsis eorum commissæ principibus, ad nos usque propagatæ sunt[2]. Voilà ce que dit un homme qui vivait dans le IIe. siècle : l’union des disciples d’Épicure s’était conservée jusqu’à ce temps-là, et ne paraissait point menacée de quelque revers. C’est ce que Numénius témoigne. Sa conjecture n’a pas été démentie, que je sache.

Parlons ici d’une chose que j’ai promise dans les dernières lignes de l’article de Carnéade. L’une des accusations intentées à Épicure fut d’avoir parlé satiriquement des plus illustres philosophes. Diogène Laërce[3], voulant montrer que c’était une calomnie insensée, se contente de dire qu’on avait des témoignages suffisans de l’honnêteté et de la débonnaireté extrême d’Épicure envers tout le monde. Il allègue les statues d’airain érigées à ce philosophe, le grand nombre de ses amis, l’attachement immuable de tous ses disciples, et la succession perpétuelle de son école. Il dit que les leçons d’Épicure furent un chant de sirène qui captiva tous ses auditeurs, excepté Métrodore de Stratonice, qui le quitta pour s’attacher à Carnéade : Οἵτε γνώριμοι πάντες, ταῖς δογματικαῖς αὐτοῦ σειρῆσι προκατασχεθέντες, πλὴν Μητροδώρου τοῦ Στρατονικέως πρὸς Καρνεάδην ἀποχωρήσαντος, τάχα ϐαρυνθέντος ταῖς ἀνυπερϐλήτοις αὐτοῦ χρηςότησιν. C’est-à-dire, selon la version latine imprimée avec le grec de Diogène Laërce : Prætereà omnes discipuli quos illius dogmaticæ syrenes occupârunt, præter unum Metrodorum Stratonicensem, qui ab illo se ad Carneadem contulit : cui fortè gravis erat viri incomparabilis bonitas. Selon cette traduction, la bonté extraordinaire d’Épicure fut cause que ce Métrodore le quitta. Ce

  1. Ea quæ Epicuro placuerunt, ut quasdam Solonis aut Lycurgi leges ab Epicureis omnibus servari. Themistius, orat. IV. apud Gassendum, de Vitâ et Moribus Épicuri, lib. II, cap. V. Apud istos quicquid dicit Hermachus, quicquid Metrodorus ad unum refertur. Omnia quæ quisquam in illo contubernio loquutus est, unius ductu et auspiciis dicta sunt. Seneca, epist. XXXIII.
  2. Numenius, apud Euseb. Præpar. Evang., lib. XIV, cap. V, pag. 727.
  3. Laërt., lib. X, num. 9.