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EURIPIDE.

la colère de cet homme contre le prince qui l’avait soumis à ce grand affront, conserva toute sa force et l’engagea à ménager au bout de six ans les occasions de vengeance qui se présentèrent. Nous verrons ci-dessous [1] s’il fit périr Euripide.

N’oublions pas la coupe d’or qui fut donnée à ce poëte par Archélaüs, avec un éloge très-honorable. Ce prince, l’ayant refusée à celui qui la demandait, la fit porter à Euripide, et dit à l’autre : Tu es propre à demander, et indigne de recevoir ; mais pour lui, il mérite de recevoir sans qu’il le demande. Σὺ μὲν (εἶπεν) αἰτεῖν ἐπιτήδειος εἶ καὶ μὴ λαμϐάνειν· οὗτος δὲ λαμϐάνειν καὶ μὴ αἰτῶν. Tu quidem, inquit, ad petendum idoneus es, non accipiendum : ille autem ad accipiendum etiam non petens [2].

(O) Il ne faut pas croire légèrement ce que l’on conte de ses aventures de Macédoine. ] Il avait soixante-douze ans lorsqu’il s’en alla à la cour de Macédoine, et on lui a rendu témoignage qu’il avait toujours été éloigné des galanteries criminelles, Σκοτίης Κυπρίδος ἀλλότριος [3]. Quoi qu’il en soit, rapportons ce que l’on conte de lui. On [4] veut que dans un festin que le roi de Macédoine fit à ses amis, Euripide, ayant bu plus qu’il ne fallait, se mit à baiser le poëte Agathon, assis à côté de lui, et âgé d’environ quarante ans, et que, sur la demande du prince, si Agathon lui semblait encore un objet aimable, il répondit : Par Jupiter, je le trouve tout-à-fait aimable, car dans les belles personnes l’automne même est quelque chose de beau [5]. Plutarque prétend que ce fut Archélaüs qui dit cela afin d’excuser Euripide que l’on voyait caresser un homme bien fourni de barbe [6] ; mais dans d’autres endroits [7] il attribue à Euripide cette pensée : tant il est vrai qu’il était en possession de faire servir une même historiette à divers usages. Il en faisait présent tantôt à l’un, tantôt à l’autre ; il s’en servait à deux mains, et y faisait même des changemens, selon le besoin [8]. Neque enim inusitatum Plutarcho easdem res et sententias aliquando narrando variare, aliquando diversis authoribus tribuere, non memoriâ lapsus, sed ut in rem suam lapsus præsens ornat, torqueat [9]. Le docte Schefférus a ignoré les variations de Plutarque sur l’automne des belles personnes ; il croit que Plutarque a toujours attribué cette pensée à Archélaüs ; et néanmoins dans l’un des endroits qu’il cite [10] on voit qu’Euripide prononça cette sentence, au sujet de ses baisers d’Agathon, Voyez Cœlius Rhodiginus [11] qui a censuré un traducteur de Plutarque d’avoir très-mal entendu l’endroit de la vie d’Alcibiade, où ce mot d’Euripide est rapporté. L’aventure de ce festin n’est pas la plus noire faute de ce poëte. On a dit [12] qu’il eut de l’amour pour Agathon, et qu’il composa pour lui complaire la tragédie de Chrysippe. On a dit qu’il eut de sales intrigues avec le mignon d’Archélaüs, et qu’il allait le trouver de nuit, lorsqu’il fut rencontré par quelques femmes qui le mirent en pièces. D’autres disent qu’il allait trouver la femme de Nicodème l’Aréthusien. Οἱ δὲ ἱςόρησαν οὐχ ὐπὸ κυνῶν, ἀλλ᾽ ὐπὸ γυναικῶν νύκτωρ διασπασθῆναι, πορευόμενον ἀωρὶ πρὸς Κρατερὸν τὸν ἐρώμενον Ἀρχελάου, καὶ γὰρ σχεῖν αὐτὸν καὶ περὶ τοὺς τοιούτους ἔρωτας· οἰ δὲ, πρὸς τὴν γαμετὴν Νικοδήμου τοῦ Ἀρεθουσίου. Alii verò non à canibus, sed à mulieribus noctu laceratum fuisse tradunt, dùm intempestâ nocte ad Craterum Archelai delicias iret. Nam

  1. Dans la remarque (R), où il ne se trouve pas nommé parmi ceux à qui l’on impute la mort de ce poëte.
  2. Plut., de vitioso Pudore, pag. 531, D.
  3. Dionysius Byzantinus, in Anthologiâ, lib. II, folio 274.
  4. Ælian., Var. Hist., lib. XIII, cap. IV.
  5. Ναὶ μὰ Δία, οὐ γὰρ μόνον τὸ ἔαρ τῶν καλῶν κάλλιςον, ἀλλὰ καὶ τὸ μετόπωρον. Per Jovem, inquit, omninò, non enim ver solum formosorun est pulchrum, verùm etiam autumnus. Idem, ibid.
  6. Plutarch., in Apophth., pag. 177, A.
  7. Idem, in Vitâ Alcibiadis, pag. 192, A ; et in Amatorio, pag. 770, C.
  8. Voyez, tome I, pag. 164, la remarque (M) de l’article Achille, entre les citations (137) et (138).
  9. Barnes., in Vità Euripidis, pag. 30.
  10. Schefferus, in Ælian., lib. XIII, cap. IV, cite Plutarque in Amatorio (c’est là que le mot est attribué à Euripide), et in Apophth. Lacon. Ce n’est point dans les Apophthegmes des Lacédémoniens qu’on trouve cela.
  11. Antiq. Lect., lib. XXIV, cap. VII.
  12. Ælian., Var. Hist., lib. II, cap. XXI.