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FERNEL.

passait pour bien avancé. Un provincial que l’on envoyait à Paris à l’âge de quinze ou seize ans, pour y faire ses basses classes, ne passait pas pour un écolier que l’on eût mis tard à l’étude. Je ne compte ici pour rien l’autorité de Thevet[1] ; car il n’a fait que copier Plantius, tant pour les soixante-douze ans de vie qu’il a données à Fernel, que pour tout le reste.

(I) Il gagna beaucoup de bien. ] Plantius[2] témoigne que pendant les dix années qu’il passa auprès de Fernel, le gain annuel de ce médecin allait souvent au delà de douze mille francs, et n’était au-dessous de dix mille livres presque jamais. Un auteur que j’ai cité ci-dessus me fournit ce que l’on va lire : On trouva dans son étude, après sa mort, 30,000 écus d’or : aussi mourut-il très-riche, car il laissa, outre cela, 36,000 livres de rente, à partager entre ses deux filles, ses uniques héritières [3]. Si l’on en croit son histoire, il faisait du bien à sa famille ; mais il était appliqué au gain. Attentus quidem ad rem familiarem, sed in suos beneficus et liberalis[4]. Scaliger dit sur cela et sur un point encore plus délicat, une chose très-choquante : Fernelius, bon gagne-denier, qui entra en crédit pour avoir facilité l’accouchement de la reine-mère, Habuit salacissimam filiam, cui dedit decem millia aureorum pro dote[5]. Ceux qui voudront savoir quelque chose touchant la postérité de Fernel, n’auront qu’à jeter les yeux sur ce passage de Guy Patin[6]. « Dans le couvent de la Visitation, à Lyon, il y a une demoiselle, fille de M. de Riant, conseiller d’état. Sa mère est nièce de M. de Narbonne, et s’appelle Marie des Prez. Cette belle religieuse, qui n’est pas encore professe, est considérable pour sa naissance, entre autres belles qualités qu’elle possède, étant descendue de notre grand Fernel, qui a été vraiment un incomparable médecin. Il laissa deux filles, dont l’aînée fut mariée à M. Barjot, président au grand conseil et maître des requêtes, duquel est descendu aujourd’hui M. d’Annœuil, maître d’hôtel de chez le roi. Annœuil est une terre de 12,000 livres de rente, en notre pays de Picardie, près de Beauvais, à deux lieues de mon pays natal. L’autre fille de Fernel fut mariée à M. Gilles de Riant, président au mortier, qui mourut l’an 1597. Elle s’appelait Madeleine Fernel, et mourut l’an 1642, au mois de mars, âgée de quatre-vingt quatorze ans : Et generatio rectorum benedicetur. J’ai grand regret que je n’aie été autrefois tout exprès à Villeray, au Perche, où elle est morte, pour avoir l’honneur de la voir et de lui baiser les mains. On nous fait bien baiser des reliques qui ne valent pas celle-là. Si bien que cette belle religieuse se peut vanter d’être descendue du plus grand homme qui eût été dans notre profession, depuis Galien, puisque le grand Fernel est son trisaïeul.

(K) C’est une opinion répandue qu’il guérit la stérilité de Catherine de Médicis[* 1]. ] On prétend que Henri II lui proposa cette affaire en des termes assez surprenans. Monsieur le médecin, ferez-vous bien des enfans à ma femme ? Et l’on veut que Fernel ait répondu sagement : C’est à Dieu, sire, à vous donner des enfans par sa bénédiction, c’est à vous à les faire, et à moi à y apporter ce qui est de la médecine ordonnée de Dieu pour le remède des infirmités humaines[7]. M. Varillas rapporte l’expédient dont ce médecin se servit. Le peuple était persuadé, dit-il[8], que la reine mère, après dix ans de stérilité,

  1. * A l’occasion de Fernel et de Marie de Médicis, l’homme de lettres qui a donné l’édition du Dict. de Bayle, publié à Leipsic 1802, in-8o. (il n’en a paru que huit parties), a cru devoir consacrer une longue note sur la médaille dont Prosper Marchand parle dans son Dictionnaire, I, 164–169, dont même il donne la figure, et sur laquelle on lit : Freneil, d’où le père Ménestrier avait conclu que cette médaille était un talisman fait par Fernel. Bayle, au reste, avait parlé de ce singulier monument dans sa Réponse aux questions d’un provincial.
  1. Dans l’Éloge de Fernel, au VIIe. tome, pag. 325, édit. de 1671, in-12.
  2. Plantius, in Vitâ Fernelii, in fine.
  3. Saint-Romuald, Abrégé du Thrésor chronol., tom. III, à l’ann. 1558.
  4. Plantius, in Vitâ Fernelii, sub fin.
  5. Scaligerana prima, pag. 82.
  6. Lettre C, pag. 394 du Ier. tome. Cette lettre est datée du 25 de sept., 1655.
  7. Bullart, Académie des Sciences, tom. II, pag. 84. Il cite Dupleix.
  8. Varill., Histoire de François II, liv. I, pag. m. 76.