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FERRAND.

d’Étienne Pasquier. Il se trouve dans une lettre qu’il écrivit à un avocat[1], qui travaillait à un ouvrage d’écussons et d’armoiries. « Bien vous diray-je, qu’entre ceux qui s’en sont meslez, le Feron, duquel m’escrivez, s’en voulut faire croire par dessus tous. Je vous en parleray comme d’un homme que j’ay de fois à autres frequenté sur mon moyen âge. Il estoit un ancien avocat en nostre palais, qui ne fit jamais grande profession de sa charge[2], aius seulement de blasonner les escussons et armoiries, comme mesmes vous avez peu voir par quelques livres qu’il fit imprimer sur ceste matiere. Et néantmoins il n’eut jamais la plume si desliée, comme quelques-uns qui luy ont succedé : car pour vous bien dire, il ne mendia pas l’usage des armoiries, ny des guerres, ni de la noblesse, ains dés le commencement de ce monde : voire assigna à nostre premier pere Adam les siennes. Si vous me demandez quelles ? C’estoient trois feuilles de figuier. Et comme je luy demandasse, pourquoy il les luy avoit attribuées, il me respondit, que c’estoit pour autant qu’après avoir mangé du fruit de science, Adam s’estoit couvert les parties honteuses d’une feuille de figuier. Et sur ce pied il bastit quatre ou cinq gros tomes en grand volume, figurez selon son opinion. Curiosité que j’oze aussi tost appeler inexcusable, comme inespuisable [3]. »

  1. À M. Moreau, avocat au parlement de Bordeaux.
  2. Voyez les Opuscules de Loisel, pag. 525.
  3. Pasquier, Lettres, liv. XIX, pag. 455 du IIe. tome.

FERRAND (Jacques), docteur en médecine, natif d’Agen, composa un livre de la Maladie d’amour, qui fut imprimé à Paris l’an 1622. La Bibliothéque des Médecins n’en a point encore fait mention : il méritait néanmoins d’y trouver place, plus que bien d’autres qu’on y voit placés (A).

(A) Il méritait, de trouver place dans la Bibliothéque des Médecins, plus que bien d’autres qui y sont placés. ] Quoique le but de Jacques Ferrand soit de ne considérer l’amour qu’en tant qu’il se change quelquefois en maladie corporelle, en fureur, en mélancolie, il ne laisse pas de dire beaucoup de choses qui se rapportent à l’amour en général. Je prends ici le mot d’amour selon le sens qu’on lui donne par excellence, je veux dire pour la passion que l’un des sexes conçoit pour l’autre, passion qui a été honorée d’un culte divin sous le nom de Vénus, dans le paganisme, et qui est l’un des plus profonds mystères de la nature. L’épître dédicatoire du livre de Jacques Ferrand est remplie d’une érudition qui témoigne qu’il n’y avait rien sur quoi les poëtes du paganisme eussent plus profondément philosophé que sur l’amour. On y a oublié les vers de Lucrèce que j’ai rapportés ci-dessus[1]. Je disais alors qu’en cas que cette passion soit entrée au monde par le péché, il la faut considérer comme une planche après le naufrage : c’était comme un second principe de vie accordé au genre humain ; c’était un nouveau sort très-nécessaire pour donner le branle à la nature. Mais je devais dire aussi que cette seconde libéralité de l’auteur de toutes choses est marquée au coin général de la maxime, Les présens de la fortune sont toujours mêlés de quelque disgrâce : Fortuna nunquàm simpliciter indulget[2]. Ceux qui ne savent point par expérience les amertumes dont les plaisirs de l’amour sont accompagnés [3], n’ont qu’à lire l’ouvrage du sieur Ferrand : ils y apprendront à juger de cette matière par les sentences de plusieurs graves auteurs ; car selon la méthode de ce temps-là, ce médecin cite beaucoup, et il ne dit presque rien qu’il ne munisse de l’autorité de quelque poëte grec ou latin, ou de quelque philosophe ancien ou moderne. On est revenu de cette méthode ; mais les auteurs qui l’ont sui-

  1. Dans la remarque (F) de l’article d’Ève.
  2. Q. Curtius, lib. IV, cap. XIV.
  3. Voyez l’article Selemnus tome XIII. Quand il n’y aurait que la jalousie, ce serait assez pour faire que le mal balançât le bien.