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FRANÇOIS Ier.

de fois contre la France, et qui aurait été toujours disposé à la renverser de fond en comble, pour la partager avec Charles-Quint. Les déplaisirs de François Ier., à l’occasion de ses enfans, ne furent pas la plus petite de ses angoisses (R). Je ne donne pas la suite de ses actions, parce qu’il faudrait redire ce que d’autres dictionnaires rapportent suffisamment. Le surnom de Grand, qui lui fut donné après sa mort, n’a point été de durée (S). Il le méritait à certains égards, et surtout à cause de son courage, et de cette générosité franche et ouverte, qui est si rare parmi les personnes de sa condition. La fermeté de son courage fut sujette à des éclipses [* 1]. Elle ne le soutint pas assez dans les rigueurs de sa prison. Il y pensa mourir de chagrin ; et il témoigna un peu trop de peur en rentrant en France (T). Je tiens pour un conte fabuleux ce que j’ai lu dans un petit livre qui a paru depuis quelque temps [a], c’est qu’il tua à Madrid un grand seigneur qui lui avait manqué de respect, et que l’empereur ne s’en formalisa pas.

Voici en quoi consistent les choses que j’ajoute à cet article dans cette seconde édition. On a débité faussement que François Ier. naquit après une longue stérilité de sa mère (U). On l’a compté parmi les princes qui étant montés sur le trône n’ont point voulu se venger des offenses qu’ils avaient reçues dans une condition privée. On prétend que, sous le règne de Louis XII, il fit appeler en duel Charles de Bourbon, qui par certains rapports avait tâché de le mettre mal dans l’esprit du roi, et l’on ajoute qu’ayant succédé à ce monarque il se souvint si peu de l’inimitié qu’il avait eue pour ce même Charles de Bourbon, qu’il l’éleva à la dignité de connétable [b]. L’amour qu’il eut pour

  1. * La flatterie qui poursuit les rois au delà du tombeau, et l’ignorance qui répète tout sans examen, ont, pour ainsi dire, consacré, depuis très-long-temps, une phrase qu’on attribue à François Ier. : c’est le fameux Tout est perdu fors l’honneur, que ce monarque aurait écrit à sa mère. Voici le texte même de la lettre, telle que vient de la publier M. Dulaure, aux pages 4 et 5 du tome XII de son Histoire physique, civile et morale de Paris.

    « Pour vous advertir comment se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m’est demouré que l’honneur et la vie qui est sauve ; et pour ce que, en nostre adversité, ceste nouvelle vous fera quelque peu de resconfort, j’ay prié qu’on me laissât vous escripre ces lettres, ce qu’on m’a agréablement accordé ; vous suppliant ne volloir prendre l’extremité de vous meisme, en usant de vostre accoustumée prudence, car j’ay espoir en la fin que Dieu ne m’abandonnera point ; vous recommandant vos petits enfans et les miens ; vous supplians faire donner seur passage et le retour pour aller et le retour en Espaigne à ce porteur qui va vers l’empereur pour savoir comme il fauldra que je sois traicté. Et sur ce très-humblement me recommande à vostre bonne grace. Vostre humble et obéissant fils François. »

    On peut voir dans le livre même de M. Dulaure d’autres phrases un peu abjectes, extraites d’une lettre écrite par François Ier. à Charles-Quint.

    Ce n’est donc pas sans raison que Bayle parle des éclipses de courage de ce preux tant vanté ; et que Mézerai parle de sa peur. Le tout est perdu fors l’honneur est donc un de ces mots bien trouvés, mais qui ne sont pas vrais. Il en est de même du Fils de saint Louis, montez au ciel (21 janvier 1793), et encore de, La garde meurt et ne se rend pas (18 juin 1815).

  1. Il est intitulé Avis à l’auteur du Mercure historique et politique. Il fut imprimé, si je ne me trompe, l’an 1689, contre quelque chose que l’auteur du Mercure avait dit de Christine, reine de Suède. Je n’ai pu retrouver cet Avis.
  2. Voyez Camérarius, Médit. historiques, tom. II, chap. XLV, sub fin., pag.