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FRANÇOIS Ier.

qu’il la pouvoit prendre d’autorité et par la puissance de sa royauté. Et de fait l’un d’eux l’alla dire à ceste dame, laquelle le dit à son mari. L’advocat voyoit bien qu’il falloit que luy et sa femme vuidassent le royaume, encore auroyent ils beaucoup à faire de se sauver, s’ils ne luy obéissoient. Enfin le mari dispense sa femme de s’accommoder à la volonté du roi ; et afin de n’empescher rien en ceste affaire, il fit semblant d’avoir affaire aux champs, pour huit ou dix jours. Cependant il se tenoit caché dans la ville de Paris, fréquentant les bourdeaux, cherchant la vérole, pour la donner à sa femme, afin que le roy la print d’elle, et trouva incontinent ce qu’il cherchoit, et en infecta sa femme, et elle puis après le roy. Lequel la donna à plusieurs autres femmes qu’il entretenoit, et n’en peut jamais bien guerir, car tout le reste de sa vie il fut mal sain, chagrin, fascheux, inaccessible. » Je m’étonne que Brantôme ne désigne aucune femme particulière dans le passage que je vais citer, où il parle de cette vérole. Le roy François, dit-il [1], aima fort aussi, et trop, car estant jeune et libre, sans différence il embrassoit qui l’une qui l’autre, comme de ce temps tel n’estoit pas galand qui ne fust putassier partout indifféremment, dont il en prit la grande vérole, qui lui avança ses jours, et ne mourut guère vieux, car il n’avoit que cinquante trois ans, ce qui n’estoit rien ; et lui après s’être veu eschaudé et mal mené de ce mal, avisa que s’il continuoit cet amour vagabond, qu’il seroit encore pris, et comme sage du passé, avisa à faire l’amour bien galamment, dont pour ce institua sa belle cour fréquentée de si belles et honnestes princesses, grandes dames et damoiselles, dont ne fit faute que pour se garantir de vilains maux, et ne souiller son corps plus des ordures passées, s’accommoda et s’appropria d’un amour point sallaud, mais gentil, net et pur. Tout aussitôt il parle de l’amour de ce prince pour la demoiselle de Helli, et c’est prétendre que la vérole précéda la prison [* 1]. On ne peut douter que cet écrivain ne le prétende, puisqu’il assure dans un autre endroit [2] que le roi donna à la reine Claude la vérole qui lui avança ses jours. Or cette reine mourut au mois de juillet 1524.

(E) Il lui échappa quelques murmures contre la divine providence. ] Brantôme [3] nous va commenter ce texte. J’ay ouy dire à une dame de ce temps aussi, que de toutes les guerres le roy avoit receues de Charles-Quint, il ne se fascha jamais tant, comme quand il sceut la prise de Saint-Disier [4], et que l’empereur venoit teste baissée avec une si grande armée assieger Paris, qu’il le voyoit desja esbranlé ; il estoit lors un peu malade et gardoit la chambre, et la feue reine de Navarre sa sœur estoit avec luy, et force autres dames. En s’escriant un peu il dit, ah ! mon Dieu, que tu me vends cher un royaume, que je pensois que tu m’eusses donné très-liberalement ! ta volonté pourtant soit faite ! Puis dit à ladite reine, ma mignonne, (car ainsi l’appeloit-il) allez vous en à l’eglise, à complies, et là pour moy faites priere à Dieu, que puisque son vouloir est tel d’aimer et favoriser l’empereur plus que moy, qu’il le fasse au moins sans que je le voye campé devant la principale ville de mon royaume, et qu’il ne soit dit un jour, que mon vassal rebelle me soit venu voir jusques-là, comme son ayeul le duc de Bourgogne fit au roi Louys XI, qui luy donna la bataille si près ; mais pourtant je suis resolu d’aller au devant, le prevenir et luy donner la bataille, où je prie Dieu qu’il me fasse mourir plustost que d’endurer une seconde prison. Il pouvoit bien

  1. * C’est-à-dire, la détention de François Ier, en Espagne.
  1. Dans l’Éloge de Henri II, au IIe. tome de ses Mémoires, pag. 5.
  2. Dans les Mémoires des Dames illustres, pag. m. 208, où, en parlant de la reine Claude, il dit que si la reine Anne, sa mère, eût vécu, jamais le roi François ne l’eût épousée, car elle prévoyait bien le mauvais traitement qu’elle en devait recevoir, d’autant que le roi son mari lui donna la vérole qui lui avança ses jours.
  3. Éloge de François Ier., au Ier. tome de ses Mémoires, pag. m. 318.
  4. M. Varillas en insérant une traduction de ce passage de Brantôme, dans l’Histoire de François Ier., liv. XI, pag. 102, applique ceci à la prise de Château-Thierri, et non à celle de Saint-Disier.