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GÉDICCUS.

qui ont soutenu que la nature ne fait des femelles que quand elle s’est déroutée, et qu’ainsi elle n’en produit que par hasard, que par accident, que par force. Écoutons cette sottise en italien. Huomini sapientissimi hanno lasciato scritto, che la natura, perciò che sempre intende, e disegna far le cose più perfette, se potesse, produrria continuamente huomini : e quando nasce una donna, è difetto, o error della natura, e contra quello, ch’essa vorrebe fare : come si vede ancor d’uno, che nasce cieco, zoppo, o con qualche altro mancamento, e ne gli arbori molti frutti, che non maturano mai. Così la donna si puo dire animal produtto a sorte, e per caso [1]. Ce que le trouve de plus étrange est de voir que dans un concile [2] on ait gravement mis en question si les femmes étaient une créature humaine, et qu’on n’ait décidé l’affirmative qu’après un long examen [* 1].

(D) Je n’ai point trouvé que la reine Élisabeth y soit mise en jeu. ] Voici ce qu’on trouve dans la vie que M. Leti a publiée de cette reine. J’ai toujours regardé avec horreur, dit-il [3], un méchant livre qui a pour titre que les femmes sont d’une autre espèce que les hommes, où l’on ose alléguer l’exemple de cette reine pour se moquer de ceux qui ont loué sa capacité dans l’administration des affaires, et dire que pendant son règne ses favoris, son conseil et le parlement faisaient toutes les affaires, sans qu’il y eût autre chose d’elle que son nom. Comme apparemment il y a quelques autres dissertations sur la thèse, mulieres non esse homines, outre le traité que le sieur Gédiccus s’est donné la peine de réfuter, je serais fort téméraire si je niais ce que M. Leti rapporte ; car j’avoue que je n’ai lu sur cette matière que le livre que le sieur Gédiccus a réfuté. Je dirai seulement que M. Leti aurait obligé ses lecteurs, s’il avait caractérisé le livre [4] où il a lu cette médisance contre la reine Élisabeth.

(E) Que l’auteur italien qui a soutenu ce paradoxe a renouvelé une chimère bien surannée. ] « Un Espagnol a dit que les bêtes n’ont point d’âme. Un Français l’a dit aussi. Mais un Italien plus outré s’est avisé de soutenir que les femmes n’ont point d’âme, et ne sont pas de l’espèce des hommes : Che le donne non habbiano anima ; e che non siano della specie de gli huomini, e vienne comprobato da molti luoghi della Scritura Santa : ce que l’auteur tâche de prouver par plusieurs passages de l’Écriture Sainte, qu’il ajuste à sa fantaisie. Tant que ce livre ne parut qu’en latin, l’Inquisition ne dit rien ; mais dès qu’il fut traduit en italien, elle le censura, et le défendit. Les dames d’Italie prirent ce système bien diversement : les unes étaient fâchées de n’avoir point d’âmes, et de se voir si fort ravalées au-dessous des hommes, qui les traiteraient dorénavant comme des guenons ; les autres, assez indifférentes, ne se regardant plus que comme des machines, se promettaient de faire si bien jouer leurs ressorts, qu’elles feraient enrager les hommes. Il était bien juste d’arrêter le cours de cette hérésie qui est ancienne, et si ancienne que l’Ecclésiastique paraît l’avoir combattue, lorsqu’il a dit que Dieu avait créé à Adam une compagne semblable à lui ; et qu’il leur avait donné à tous deux une langue, des yeux, des oreilles, et par dessus tout cela, une âme pour penser et se conduire. L’auteur du commentaire sur les épîtres de saint Paul, faussement attribué à saint Ambroise, dit nettement sur le chapitre XI de la Ire. aux Corinthiens, que les femmes ne sont pas faites à l’image et ressemblance de Dieu : Fœminas ad imaginem

  1. * La Polygama triumphatrix est de J. Lysérux, qui a place dans le dictionnaire de Bayle. (Voyez tom. IX.) Joly reproche à Bayle de s’appuyer sur le témoignage d’un semblable auteur.
  1. Le comte Balthasar Castiglione, dans son Parfait Courtisan, liv. III, pag. m. 382.
  2. De Mâcon. Voyez la Polygamia triumphatrix, pag. 123, où on lit ces paroles : Cùm inter tot sanctos patres episcopus quidam statueret non posse nec debere mulieres vocari homines, res tanti est habita ut in timore Dei publicè ibi ventularetur, et tandem post multas vexatæ hujus quæstionis disceptationes concluderetur quòd mulieres sint homines.
  3. Au tom. I, pag. 6.
  4. Il aurait fallu marquer en quelle langue, en quel pays, en quel temps, ce livre fut imprimé.