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HÉNAULT.

hardis que tous les contes, et méritaient mieux les condamnations du juge de police. »

(D) On prétend qu’il y paraît dans les ouvrages de cette dame. ] On a pu voir dans la première édition de ce Dictionnaire, à la page 1088 du IIe. tome [* 1], que celui à qui les paroles de ce texte appartiennent, ajoute tout aussitôt : j’ai vu entre autres remarquer ces vers de l’idylle du Ruisseau [* 2] :

« Courez, ruisseau, courez, fuyez et reportez
« Vos ondes dans le sein des mers dont vous sortez :
« Tandis que pour remplir la dure destinée
« Où nous sommes assujettis,
« Nous irons reporter la vie infortunée
« Dans le sein du néant d’ou nous sommes sortis. »


Il est sûr qu’une personne qui parlerait de la sorte dogmatiquement, nierait l’immortalité de l’âme. Mais, pour l’honneur de madame Deshoulières, disons qu’elle n’a suivi que des idées poétiques qui ne tirent point à conséquence. C’est ainsi qu’à l’imitation des anciens poëtes, elle a dit ailleurs [1], qu’aprés notre mort notre âme erre sur les rivages de l’enfer. Ce n’eût pas été sa croyance, si M. d’Hénault lui eût enseigné ses impiétés. Ne jugeons point d’elle par des phrases poétiques. Ce n’est pas qu’on ne puisse cacher beaucoup de libertinage sous les priviléges de la versification. L’avocat dont j’ai parlé a fait une note sur ce passage. Vous avez rapporté des vers de madame Deshoulières, suspects de libertinage, m’a-t-il écrit, mais on vous en a fait oublier un [* 3] qui n’est pas le moins fort, et qui se trouve dans l’édition de ses poésies. Il faut dire la vérité : il y a bien d’autres pièces morales et même chrétiennes et saintes, qui corrigent celle-là dans ses ouvrages. Il fallait pourtant qu’on la fît passer pour une libertine ; car elle s’en plaint dans son épître au père de la Chaise, sur les faux dévots. C’était un très-grand esprit, l’honneur de son sexe, et la honte du nôtre.

Notez que, sous prétexte qu’elle débite que nous sommes sortis du néant, on ne pourrait pas prétendre qu’elle croyait la création ; car M. Hénault fait assez connaître [2] que par néant il n’entend point la privation de l’existence, mais la simple privation de la vie. En ce sens-là il n’admettait point la création.

(E) Il composa un sonnet qui donna lieu à M. Colbert de faire une belle action [* 4] ] Le recueil de remarques cité ci-dessus me fournit encore un bon commentaire. « Pour revenir à M. Hénault, c’est de lui dont M. Despréaux parle dans deux endroits de la satire IX. Je le déclare donc, Haynault [* 5] est un Virgile [* 6]. Mais M..... m’a dit lui-même qu’il le trouvait assez

  1. * Bayle qui, dans la première édition de son Dictionnaire, n’avait pas consacré d’article à Hénault, en parlait dans la remarque (F). de- venue la remarque (G), de l’article Spinosa, tom. II, pag. 1087-1088. Cette remarque se composait alors : 1°. du passage guillemété qu’on lit dans le texte de l’article Hénault, et qui est l’extrait d’une lettre de Marais ; 2°. de la suite de l’extrait que Bayle rapporte en cette remarque (D), et des réflexions qui viennent après jusques et compris le mot versification ; 3°. de ce qui forme aujourd’hui le premier alinéa de la remarque (G), de l’article Spinosa. Voyez cette remarque, tom. XIII, et la note que j’y ajoute.
  2. (*) Il est à la page 164 du Ier. tome des Poésies de madame Deshoulières. Vous le trouverez aussi dans le Courrier Galant, du mois de mai 1693, pag. 552.
  3. (*)

    Nous irons reporter la vie infortunée,
    Que le hasard nous a donnée,
    Dans le sein du néant d’où nous sommes sortis.

  4. * Leclerc est porté à croire que ce sonnet n’est pas de Jean Hesnault, mais de Mathurin Hénaut, dont Loret parle dans sa Muse historique, du 3 septembre 1661. Jean Hesnault est auteur d’une belle traduction en vers de l’Innovation à Vénus, de Lucrèce. Cette traduction avait été imprimée, dès 1694, dans un Recueil de pièces curieuses et nouvelles. La Monnoie la croyait inédite, lorsqu’il la publia dans son Recueil de pièces choisies, 1714, deux vol., petit in-8°. Boileau a parlé de Hesnault, dans sa satire IX, vs. 97, et dans le chant III du Lutrin, vs. 48. Ce n’est que dans les éditions, à partir de 1701, que Hesnault figure dans le Lutrin. La Monnoie raconte que lorsqu’on demandait à Boileau pourquoi il avait ainsi immolé Hesnault, il répondait qu’ayant d’abord mis Boursault, puis Perrault, et s’étant ensuite réconcilié avec eux, il leur avait substitué Hesnault, qui, mort depuis 1682, ne pouvait plus former aucune plainte. Cependant dans l’Esquisse en prose de la satire IX, esquisse publiée par Saint-Marc, en 1747, Hesnault est déjà indiqué. La composition de l’Esquisse est antérieure à la satire elle-même, qui est de 1667. Il faut donc, ce me semble, ou que le propos de Boileau soit faux, ou que l’Esquisse, telle qu’elle est publiée, ne soit pas telle que l’auteur l’avait composée.
  5. (*) Il l’appelle ainsi pour le déguiser.
  6. (*) L’édition d’Amsterdam, 1695, lit Quinault, et ici, et déjà plus haut, dans la même satire : et Haynault n’y est nommé nulle part. Rem. crit.
  1. Voyez, tom. XII, l’article Plotin, rem. (A).
  2. Voyez le sonnet de l’Avorton.