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MAHOMET.

par Bérobius[1], de Patras. L’auteur, prétendant que ces oracles ont en vue le roi très-chrétien, l’exhorte à faire la guerre aux Ottomans. Je ne répèterai point ce que j’ai dit en un autre lieu[2] ; qu’on y recoure. Je dirai seulement que parmi tant de prophètes, qui ont presque tous prononcé malheur, malheur, væ, væ, contre la puissance mahométane, il s’en est trouvé qui lui ont promis une grande bénédiction. Les astronomes de Tolède divulguèrent une prédiction, au XIIIe. siècle, que dans sept ans il s’élèverait des disputes entre les Sarrasins, et qu’ils abandonneraient leur religion, et embrasseraient l’Évangile. Un théologien de Franeker[3] représenta à Coménius la fausseté de cet oracle, en lui citant une thèse où Samuel Desmarets avait dit qu’il serait facile de prouver, par l’Écriture, que les Turcs et les Tartares ne seront point convertis ; mais que se joignant aux restes de l’Antechrist, ils tâcheront de ruiner le christianisme : que Dieu par ses miracles les en empêchera, et qu’ils seront abîmés de fond en comble au second avénenent de Jésus-Christ. Ce n’est pas le compte des millénaires que Samuel Desmarets avait à combattre : ils prétendent que les Turcs se convertiront. Rapportons ce qui regarde les astronomes de Tolède. Ac prout eventu caruit illa Astronomorum Toletanorum prædictio ante 400 annos edita, quæ ex Wendovero refertur in Additamentis Matthæi Parisiensis ex edit. Londinensi anni 1632, et juxtà quam intrà septennium ab edito illo Oraculo oritura erat dubietas inter Saracenos, et erant relicturi Mahumerias suas, et futuri unum cum christianis ; ita non debemus nos facilè lactare novâ spe conversionis Turcarum, quæ nusquàm in Dei verbo promissa est[4]. Il se trouve aussi des gens qui prédisent de grandes conquêtes aux Turcs : ils feront des courses, dit-on, jusqu’en Flandre et en Picardie. Lisez ce que je vais copier. Je mets en note les citations de l’auteur sans y rien changer. Quam (senectutem imperii Turcici) etiamsi nondùm agnoscant plurimi Cogiticam priùs expectantes irruptionem, vel militiæ Turcicæ coloniam usquè[* 1] deductionem, tùm Picardiæ, Flandriæ et Brabantiæ [* 2], imò omnium omninò regionum [* 3] per Turcas, præcessuras incursiones ; nos tamen de turcicâ senectute præsenti non vaticinia tantùm, sed alia etiam indicia reddunt certissimos [5]. Vous trouverez un supplément de tout ceci dans la remarque (B) de l’article Torquato (Antoine).

Si nous voulions attribuer toutes ces menaces prophétiques à une seule cause, nous nous tromperions. L’envie de se consoler par l’espérance de la ruine d’un furieux persécuteur, fait trouver facilement cette ruine dans les prédictions de l’Écriture, ou dans quelques autres sources. Voilà donc des gens qui prédisent par crédulité et par illusion. L’envie de consoler les peuples, et de dissiper leurs craintes, oblige certaines gens à supposer que l’Écriture, les prodiges et plusieurs autres pronostics promettent la prochaine ruine de la puissance que l’on redoute. Voilà donc des gens qui prédisent par politique. Ceux qui le font afin de rendre plus courageuses les troupes qu’on met sur pied, sont des prophètes de la même classe. Il y en a qui le font afin d’exciter les soulèvemens dans le pays ennemi ; par exemple, afin d’animer les Grecs, qui reconnaissent le grand Turc pour leur souverain, à prendre les armes contre leur maître. Ceux-ci appartiennent à une autre classe ; il les faut nommer prophètes de sédition. Mettez dans la classe qu’il vous plaira, peu m’importe, les païens dont parle saint Augustin, qui firent courir une prophétie selon laquelle

  1. (*) Methodius, apud Wolf., rer. memor., T. 2, A. 1571.
  2. (*) Claromontanus, ap. Wolf., l. 1.
  3. (*) Secundum prophetiam Hebræam à Bemecho Paterensi episcopo in latinum translatam. Notez que dans Wolfius, pag. m. 886, cet auteur est appelé Béméchobus.
  1. C’est, je crois, le même que le Béméchobus de la citation (*1), à la col. suivante.
  2. Dans l’article Herlicius, tom. VIII, pag. 97, remarque (F).
  3. Nicolaus Arnoldus, Discurs. theolog. contrà Comenium, imprimé à Franeker, l’an 1660.
  4. Maresus, disp. III, th. XVIII, apud Arnoldum, Discurs theolog. contrà Comenium, pag. 91, 92.
  5. Schulterus, in Ecclesiâ Muhammedanâ, pag. 21.