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MAHOMET.

Vous voyez dans ces paroles de M. Prideaux, que la même femme que nous avons appelée ci-dessus Aaisce [1], s’appelle ici Ayesha. Les deux auteurs que j’ai cités en cet endroit-là s’expriment mal : ils disent que Mahomet fut enterré dans le tombeau d’Aaisce : mais comme elle vécut plus que lui, ils eussent mieux fait de dire qu’il fut enterré dans la chambre de cette femme. C’est ainsi que M. Prideaux s’est exprimé[2]. Il nous apprend[3] qu’Ayesha, fille de Abu-Beker, était celle de toutes ses femmes que Mahomet aimait le plus tendrement ; ..... et quoique ce fût une[* 1] femme galante, toujours occupée de quelque intrigue, Mahomet ne put jamais se résoudre à la renvoyer. Il composa donc le 24e. chapitre de l’Alcoran pour innocenter sa femme, et pour se disculper en même temps de ce qu’il la gardait. Il y déclare donc à ses musulmans de la part de Dieu, que tous ces bruits qui couraient au désavantage d’Ayesha étaient des impostures, de noires calomnies, leur défend d’en plus parler, et menaçant en même temps de peines terribles en cette vie et en l’autre ceux qui oseraient médire des femmes de bien. Mahomet l’ayant épousée jeune[* 2] prit soin de la faire instruire dans toutes les sciences qui avaient cours en Arabie, surtout dans l’élégance et la politesse du langage, et la connaissance de leurs antiquités ; elle profita extrêmement des soins de son mari, et devint polie et savante[* 3]. Elle haïssait Ali avec fureur, parce que ce fut lui qui découvrit son incontinence et ses désordres à Mahomet. Voici une autre preuve de la tendresse avec laquelle elle était aimée de son mari :« Sewda était celle des femmes[* 4] de Mahomet, qu’il aimait le moins ; il avait même résolu de la renvoyer ; mais elle le fléchit par l’empressement avec lequel elle lui demanda qu’elle pût continuer à jouir du nom de femme de Mahomet, lui promettant qu’elle n’exigerait rien de plus, et que quand son tour viendrait de coucher avec lui, elle le céderait à Ayesha. L’amour de Mahomet pour Ayesha le fit consentir très-volontiers à ce traité, ainsi Sewda demeura dans sa maison pendant qu’il vécut, aux conditions qu’elle s’était imposées [4]. »

On croira peut-être que je parle improprement, lorsque j’assure que Mahomet prit patience par rapport aux galanteries de l’épouse qu’il aimait avec le plus de tendresse : car on s’imaginera qu’il la crut très-innocente ; et en ce cas-là il ne le faut plus considérer comme un mari tendre et jaloux, et en même temps insensible aux infidélités conjugales. Où sera donc cette singularité de caractère dont j’ai parlé ? Je réponds qu’il n’y a nulle apparence qu’il ait douté des galanteries d’Ayesha. Il les apprit par le rapport de son gendre Ali, et ne discontinua point d’avoir pour lui autant d’amitié et de confiance qu’auparavant ; et sans doute il n’en aurait point usé de cette manière, s’il l’eût pris pour un calomniateur dans un point aussi délicat que celui-là. Croyons donc qu’il fut convaincu de la vérité du rapport, et considérons de plus que si les intrigues amoureuses de sa femme n’eussent pas été certaines, on n’en eût point fait de contes et de médisances, qui obligèrent le faux prophète à recourir à l’autorité céleste pour en arrêter le cours. Ses sectateurs, s’étant une fois laissé persuader qu’il leur parlait de la part de Dieu, avaient du respect, non-seulement pour sa personne, mais aussi pour ses femmes et pour ses enfans. Ils n’étaient donc pas capables de forger une satire calomnieuse contre Ayesha, mais ils l’étaient bien de connaître les désordres effectifs de sa conduite, et d’en murmurer, et de s’en plaindre comme d’un scandale insupportable qui déshonorait l’homme de Dieu. Et il faut noter que la jalousie n’est pas toujours uniforme dans ses causes et dans ses effets :

  1. (*) Disputatio Christiani, c. 6. Comment., in Alcoran., cap. 24.
  2. (*) Appendix ad Geograph. Nubiens, c. 8.
  3. (*) Disput. Christiani, c. 6. Elmacin., lib. 1, c. 4. Abul-Faraghius, Abul-Feda, etc.
  4. (*) Gentius, in notis ad Musladin. Sadum, pag. 568.
  1. Dans la remarque (EE), citation (207).
  2. Prideaux, Vie de Mahomet, pag. 134.
  3. Là même, pag. 139.
  4. Prideaux, Vie de Mahomet, pag. 143.