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MAIGNAN.

nez-vous, n’est-ce pas la figure de mon livre ? Quid stupes, an non hæc est figura mei libri ? Un minime qui entendit cela, et qui comprit que le père Kircher s’attribuait toute la gloire de l’invention, répondit assez brusquement, au contraire, c’est le livre de votre figure, Imò hic est liber tuæ figuræ, et rapporta bientôt la chose au père Maignan qui, comme il était fort humble, se contenta de dire qu’il ne se sentait coupable d’aucun larcin, à moins qu’on ne supposât que ses mains avaient dérobé l’ouvrage à son esprit [1]. La chose n’eût point passé plus avant, si les amis de l’un et de l’autre ne l’eussent jugée digne d’une plus ample information, attendu qu’il s’agissait, ou de la gloire d’un mathématicien allemand, ou de celle d’un mathématicien français ; car la principale louange est toujours celle de l’inventeur. Le père Maignan allait perdre son procès, lorsqu’un jésuite raconta ingénument qu’il avait vu un semblable ouvrage en France fait par le père Maignan. Ainsi les savans de Rome laissèrent à chacun des concurrens toute la gloire de l’invention. Ce n’est là qu’un abrégé de ce que vous pourrez voir plus au long dans ce latin du père Saguens [2] : Totaque res ibi substitisset, nisi visa fuisset communibus amicis digna diligentiori examine ; quodque ducebant vertendum ad gloriam non mediocrem aut germani, aut galli mathematici. Omninò enim in quovis artium, et doctrinarum genere primum fuisse ità gloriosum est ; ut id posteritas omnis, quia imitari non potest, invidiâ dignum putet. Primus labor plerumque sibi aut totum honorem vindicat, aut secundo non nisi magnâ ex parte imminutum relinquit : vel quòd difficultatem penè omnem, quam in rebus inveniendis maximam esse constat, exhauriat : vel quòd non parùm emolliat : vel denique quòd præstantioris cujusdam ingenii aciem, judiciique demonstret. Ecce itaque inter doctos certatur, et ambigitur uter è duobus eximiæ illius primæ excogitationis catoptricognomonicæ laudem sit relaturus, gravissimoque tandem judicio declinabant ad partes Kircheri, qui prior typis nuper ea commiserat : nisi in testem acerrimum compellatus occurrisset alius R. P. ejusdem societatis mathematicus, qui feliciter Roman accesserat, et ingenuè enarrabat vidisse se multos antè annos in Galliâ, et in conventu quidem hujus Aquitanicæ provinciæ nostræ Albaterrensi tale quoddam opus Catoptricum à Petro Maignano elaboratum. Res ita erat ; et Maignanus quidem me audiente non semel retulit cogitationem illam horographicam sibi adhuc juniori subito immoderatoque impetu occurrisse ; tantâque voluptate mentem occupâsse, qui nullam majorem in vitâ sensisset. Hinc eruditorum Romanorum cohors suam utrique palmam contulit, protulitque paria esse in gignendis fortunatissimi ingenii viris Germaniæ Galliæque imperia.

Il n’est pas impossible qu’une même chose soit inventée par deux personnes, sans que l’une soit en rien aidée de l’autre.

(G) Nous verrons... en quel temps parurent les deux tomes de sa théologie Philosophique. ] Le premier fut imprimé l’an 1662, et le second l’an 1672. Il y aurait eu moins d’intervalle entre la publication de l’un et la publication de l’autre, si l’auteur n’avait été obligé de répondre à quelques écrits qu’on publia contre lui. Le premier antagoniste qu’il repoussa fut un [3] jésuite du collége de Toulouse, qui, dans son ouvrage de Cycloïde avait prétendu que le père Maignan s’était trompé à l’égard de plusieurs dogmes touchant la structure et la pesanteur des corps, l’accélération du mouvement, et l’égalité des angles d’incidence et de réflexion, etc. Le minime soutint qu’il y avait du paralogisme dans la démonstration du jésuite, et ce fut là un long sujet de dispute dont le résultat contribua notablement à confirmer cet aphorisme de physique géométrique, un excellent physicien, médiocrement versé en géométrie, réussit mieux à éclaircir la physique qu’un excellent géomètre peu physicien. Plus prode-

  1. Nullius hâc in re, inquit, furti mihi sum conscius, nisi fortè manus meas opus quod elaboraverunt, menti subripuisse quis finxerit. Saguens, in Elog. Emmanuelis Maignani, p. 16.
  2. Idem, ibidem.
  3. Nommé Lalouvère.