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MALDONAT.

y a beaucoup d’apparence qu’étant de retour à Paris, il commença d’exécuter le dessein qu’il avait formé de dicter un cours de théologie plus ample que le précédent ; car s’il eût commencé de l’exécuter après son retour de Poitiers, l’eût-on tiré de cet exercice pour l’envoyer en Lorraine ? Ce cours plus ample fut interrompu par les procès d’hérésie, et de séduction testamentaire, qui lui furent intentés. Iterùm eandem uberiùs tradere aggressus, cùm jam procul esset progressus alienissimo sanè tempore, ab hostibus variis calumniis appetitus est [1]. Or ce procès fut vidé l’an 1575 ; et Maldonat, malgré son absolution, ne laissa pas de quitter Paris : je ne suis donc point où l’on trouverait les dix années de profession en théologie dont nous parlent les deux bibliothécaires des jésuites.

Je me suis arrêté à ces bagatelles, afin de faire sentir qu’un narré chair et exact est un ouvrage plus difficile qu’on ne pense. Alegambe, qui passe pour très-exact, ne nous jette-t-il point ici dans la confusion ? Que peut-on voir de plus ténébreux que son récit ? Ceux qui font des livres semblables au sien devraient savoir ce que je critique ici.

(C) Ce que l’on conte de la multitude de ses auditeurs est admirable. ] Les bibliothécaires de la compagnie assurent, que de peur de ne trouver point de place, on se rendait à l’auditoire deux ou trois heures avant qu’il montât en chaire, et qu’il fut souvent obligé de faire leçon dans une cour, et dans les rues, parce que les bancs ne suffisaient pas à ceux qui venaient l’entendre. Ils ajoutent qu’il y eut même des ministres qui furent à ses leçons. Ne ipsi quidem calvinistæ, et calvinistarunt ministri ipsius prælectionibus abstinerent. Duabus quotidiè, tribusve horis antè subsellia certatim implebant, quàm ludum ille ingrederetur, ne excluderentur. Sæpé in aperto, atque adeò in viis publicis docere coactus est ob multitudinem auditorum, quos nullæ exedræ capiebant [2] [* 1].

(D) Il disputa à Sedan contre plus de vingt ministres. ] Génébrard, auteur suspect, témoigne que Maldonat les terrassa tous, et qu’il y en eut deux qui se convertirent. « De quo certamine Genebrardus sic ait, Joannes Maldonatus Capellum, Holinum, Loqueum, et xx alios ministros calvinistas, primùm disserendo, deindè declamitando prostravit : nan in declamationes disputationem commutandam ministri censuerant, quòd ejus vim syllogisticam non possent depellere. Additque Launeum et Henricum Penneterium ministros, qui aderant, fuisse conversos [3]. » Il est sûr que Matthieu de Launoi, et Henri Pennetier changèrent de religion ; mais ce ne fut pas en conséquence de cette dispute de Maldonat. Ils se firent papistes environ l’an 1577, et publièrent aussitôt un ouvrage de controverse [4], qu’ils dédièrent au roi de France. Ils y font mention de Maldonat ; mais sans dire qu’il eût disputé avec les ministres de Sedan, ni que ses raisons leur eussent ouvert les yeux. Ils nous apprennent [5] que l’ex-ministre du Rosier accompagnait Maldonat, et qu’il le quitta à Metz pour s’en aller en Allemagne, parce que les ministres de Sedan lui persuadèrent que s’il s’en retournait à Paris avec ce jésuite, on le ferait mourir, et que Maldonat en avait donné quelque enseigne disant qu’il sentait encore le fagot. Ils ne disent pas en quelle année cela se fit ; mais on peut être assuré que ce fut trois ou quatre ans avant leur abjuration : car, comme je l’ai déjà

  1. * Un passage de la Prosopographie de du Verdier, rapporté dans la Bibliothéque française, XXX, 3, dit que lorsqu’il interprétait le psaume Dixit dominus domino meo, la rue Saint-Jacques était pleine de coches, depuis le collége du Plessis jusqu’au collège de Clermont, dit des jésuites. Du Verdier ajoute qu’il fut un peu envié et injurié à Paris. Il paraît qu’un jour on lui jeta sur la tête quelque vase mal odoriférant ; c’est du moins ce qu’on peut conclure du passage de du Verdier que voici : « Passant un jour par la rue de Sorbonne, il lui fut faite chose que je n’oseray rapporter ; peut-être que ce fut par imprudence, peut-être que non. Il porta cela fort patiemment, comme toute autre chose, pour l’amour de Dieu. Il était homme fort doux et simple, moins fastueux que le naturel du plus simple Espagnol ne porte. »
  1. Sotuel, Biblioth. Script. societ. Jesu, pag. 474.
  2. Alegambe, pag. 255. Sotuel, pag. 574.
  3. Alegambe, pag. 255. Sotuel, pag. 574.
  4. Voyez-en le titre, tom. IX, pag. 90, remarque (D) de l’article Launoi (Matthieu de).
  5. Folio 139.