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MANTO.

loco romano de prehenso caput amputare [1]. La loi suivante, continue-t-il [2], est de l’empereur Justin, et elle distingue aussi les manichéens, non-seulement des hérétiques, mais aussi des Grecs, c’est-à-dire des païens, des juifs et des samaritains. Les manichéens sont punis de mort ; tous les autres ne sont condamnés, non plus que les hérétiques, qu’à ne pouvoir obtenir aucune magistrature, ni aucune dignité, ni faire la fonction de juges, ou de défenseurs, ou de pères des cités.

(F) Ils permettaient l’agriculture à leurs auditeurs en faveur de leurs élus. ] Les manichéens étaient divisés en deux ordres ; en celui des élus et en celui des auditeurs. Il n’était pas permis à ceux-là d’exercer l’agriculture, ni même de cueillir un fruit. On le permettait aux autres, et l’on assurait que les homicides qu’ils commettaient dans cet exercice leur étaient pardonnés, par l’intercession des particules de Dieu qui se dégageaient de la prison, lorsque les élus les mangeaient. Ainsi la rémission de ces meurtres était fondée sur ce qu’ils fournissaient des alimens aux élus, et qu’ils procuraient la liberté aux particules de la substance divine enchaînées dans les plantes. Saint Augustin raconte fort bien ces chimères, et s’en moque comme il faut. Cæteras animas et in pecora redire putant, et in omnia quæ radicibus fixa sunt, atque aluntur in terrâ. Herbas enim atque arbores sic putant vivere, ut vitam, quæ illis inest, et sentire credant, et dolere, cùm læduntur, nec aliquid indè sinè cruciatu eorum quenquam posse vellere, aut carpere. Propter quod agrum spinis purgare nefas habent. Undè agriculturam, que omnium artium est innocentissima, tanquàm plurium homicidiorum ream dementes accusant ; suisque auditoribus ideò hæc arbitrantur ignosci, quia præbent indè alimenta electis suis, ut divina illa substantia in eorum ventre purgata impetret eis veniam, quorum traditur oblatione purgandâ. Itaque ipsi electi nec in agris operantes, nec poma carpentes, nec saltem folia ulla vellentes, expectant hæc afferri usibus suis ab auditoribus suis, viventes de tot ac tantis secundùm suam vanitatem homicidiis alienis [3].

  1. Thomassin, de l’Unité de l’Église, p. 377.
  2. Là même, pag. 378.
  3. August., de Hæres., cap. XLVI, folio m. 116 verso.

MANTO, fille de Tirésias, et grande devineresse comme son père. On l’estimait à un tel point, que lorsque ceux d’Argos pillèrent la ville de Thèbes, ils ne crurent pas pouvoir s’acquitter du vœu qu’ils avaient fait à Apollon, de lui consacrer ce qu’il y aurait de plus excellent dans leur butin, s’ils ne lui offraient cette fille. Elle fut donc envoyée au temple de Delphes. Mais cela ne l’engagea point à faire aucun vœu de continence, ou si elle y fut engagée, elle observa fort mal son vœu ; car nous lisons qu’Alcméon, qui avait été le généralissime de l’armée qui prit Thèbes, fit deux enfans à notre Manto, un fils qui eut nom Amphilochus, et une fille qui fut fort belle, et qui s’appela Tisiphone. Ce furent les fruits d’une galanterie qui eut quelque chose d’assez singulier, puisqu’elle arriva durant la fureur qui avait saisi Alcméon, après qu’il eut fait mourir sa mère. Voilà ce qu’Apollodore[a] nous fournit concernant Manto. D’autres disent [b] qu’à la vérité elle fut amenée à Delphes avec les autres prisonniers thébains, mais que l’oracle leur ayant ordonné d’aller planter une colonie, ils s’en allèrent à Claros (A), où Rhacius en avait établi une ; et que Rhacius ayant su de Manto qui étaient ceux avec qui elle avait fait ce voyage, et pourquoi ils

  1. Biblioth., lib. III, pag. m. 196, 200.
  2. Pausan., lib. VII, pag. m. 207.