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MARIE.

tissant : or je ne crois point que les lois de la raillerie, ni même celles de la satire, permettent cela. La légende de saint Dominique [1] porte qu’une religieuse, étant ravie en extase, crut le voir entrer dans sa chambre accompagné de deux frères, et tirer de dessous sa robe un onguent de très-bonne odeur, dont il lui frotta la jambe, et qu’il appela le signe de charité. Maria sanctimonialis in ectasi rapta vidit Dominicum cum duobus fratribus antè lectum ejus intrantem, qui de sub cappâ unguentum miræ fragrantiæ proferens, tibiam ejus inunxit, quum unctionem dilectionis esse signum dixit [2]. En comparant ces paroles avec celles de la Confession de Sancy, quelles falsifications ne trouve-t-on pas ? La légende ne dit point que Dominique ait appliqué un onguent à la jambe de la religieuse ; elle dit que la religieuse extasiée crut voir ce saint qui lui mettait de cet onguent sur la jambe. Ainsi ce ne fut qu’un songe, et qu’une vision. Au pis aller, ne fallait-il pas en demeurer à la jambe ? Fallait-il corrompre le texte, par la fausse glose de semer de huile légère entre les cuisses ? S’il s’agissait d’un tronc d’arbre, ce serait une méprise de rien : un peu plus près ou un peu plus loin de la terre ne ferait point de différence ; mais dans un sujet comme celui-ci, la différence est capitale. M. Dumoulin, répondant à Pétra Sancta, promet de parler ailleurs de cette onction de saint Dominique [3]. Je ne sais s’il s’acquitta de sa promesse : mais son beau-frère André Rivet, répondant au même jésuite, s’arrêta littéralement et de bonne foi au texte de la légende : il reconnut que cette onction de la jambe n’était qu’un songe, et déclara néanmoins que ces visions extatiques étaient ridicules et suspectes [4]. C’est de cela qu’il prétend que Dumoulin s’était moqué, et non simplement de l’usage des onctions pour la guérison des malades ; chose pratiquée par les apôtres [5]. Accusat Molinæum, quòd riserit Dominicum sanantem mulierem olco, et Franciscum aviculis concionantem. Primùm illud non potuit simpliciter irridere Molinæus, qui noverat initio christianismi apostolos unxisse ægros oleo, et sanâsse, Marc. 7. Sed risit et meritò, quòd in legendâ Dominici legitur, quòd Maria sanctimonialis, etc. [6]. Remarquez que Pétra Sancta, ayant su que dans la Bibliothéque de Sedan on avait raillé de cette action de Dominique, ne se servit point de la réponse que la légende lui pouvait fournir, savoir que c’était un songe : il ignorait cette circonstance ; il répondit fort sérieusement qu’on pouvait faire cette raillerie de Jésus-Christ, qui oignit de sa salive un homme muet. Sedani, dùm Bibliotheca, his qui mecum advenerant, ostenderetur, nihil fermè auditum est, præter sanctorum irrisiones. Risit aliquis sanctum Dominicum, persanantem oleo mulierem ægram. Rideat perindè Christum Dominum aut salivâ utentem, aut luto, dum os muti aperiret, et dùm oculis unius cæci nati explicaret lucem et diem [7]. C’est une mauvaise réponse, car c’est convenir du fait. Après tout, les railleries de d’Aubigné ne peuvent être que fausses, puisqu’elles ne sont fondées que sur un mensonge. Cela doit apprendre aux lecteurs que, pour bien s’instruire dans la controverse, il ne faut consulter ni les satires, ni les ouvrages burlesques : ce serait s’asseoir au banc des moqueurs, action condamnée dans le premier psaume. Ces gens-là, quand il s’agit de se divertir, n’épargnent pas leurs meilleurs amis [8],

    tirique que soit d’ailleurs cet auteur. Il écrivait ceci de mémoire, et ayant apparemment oublié le mot signum de la légende, il ne pouvait guère traduire que par huile d’amour l’unctionem dilectionis qui précède. Rem. crit.

  1. Dans Jacques de Voragine.
  2. Jacob. de Voragine, in Aureâ Legendâ, apud Rivetum, in Castigat. Notarum in Epist. Molinæi ad Balzacum, cap. VI, num. 7, Oper., tom. III, pag. 511.
  3. De Dominico confricante femur puellæ unguento amoris suo loco agetur. Molinæus, in Hyperaspiste ; adv. Petra-Sanctam, pag. 47.
  4. Ectases illæ monialium quæ monachos Somniant ingredientes et earum ungentes tibias unguento dilectionis de sub cappâ, et ridiculæ sunt et suspectæ. Rivet., Oper., tom. III, pag. 511.
  5. Rivet, Oper., tom. III, pag. 511.
  6. Vous trouverez la suite, ci-dessus, citation (7).
  7. Petra Sancta, Not. in epistol. Molinæi ad Balzacum, cap. III, pag. 32.
  8. Fenum habet in cornu, longè fuge, dummodò risum
    Excutiat sibi non hic cuiquam parcet amice.
    Horat., sat. IV, lib. I, vs. 34, 35.