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MARILLAC.

réchal de Biron n’aurait pas été bien jugé, car Henri IV n’assista point en personne au jugement. Mais, laissant toute chicane, contentons-nous d’observer que ce qui fut inséré en faveur de M. de Montmorenci dans l’arrêt du parlement de Paris, n’empêche pas que sa rébellion ne doive passer pour très-certaine, et ne peut donner aucune atteinte à la probité de ses juges. Ils étaient incompétens, si l’on veut ; mais ils prononcèrent selon les lois, et contre un accusé effectivement et réellement coupable. Il arrive assez souvent que les juges subalternes font des procédures irrégulières qui sont cassées par les tribunaux supérieurs sans que l’accusé y gagne rien, si ce n’est peut-être un peu de temps : on refait les procédures avec les formalités requises, et il se trouve dûment convaincu, et la première sentence est confirmée quant au fond.

Notez que je ne veux pas nier que la mémoire de quelques personnes punies du dernier supplice n’ait été quelquefois réhabilitée de telle sorte que cela portait une déclaration juridique de leur innocence ; mais pour l’ordinaire ce sont des suites d’une révision du procès, fortifiée de nouvelles pièces justificatives et de preuves convaincantes de la corruption ou de la précipitation des juges. Sans cela le rétablissement de la mémoire des suppliciés n’est autre chose qu’une grâce accordée aux bons services que l’on a reçus ou que l’on attend d’une famille considérable. C’est une consolation qu’on lui procure, et une espèce de barrière qu’elle pourra opposer aux reproches insultans de ses ennemis. Je ne saurais dire bien précisément quelle fut l’espèce de la réhabilitation que voici : « L’an 1549, un peu après la mort du roy François premier, messire Jacques de Coucy, seigneur de Vervin, lieutenant du roy à Boloigne, et messire Odoart de Diez, mareschal de France, son beau-pere, furent condamnés, celui-là à mort, comme ayant mal defendu Montreuil contre l’Anglois ; l’autre desappointé de son estat de marechal, comme ayant trahi et rendu Boloigne au roy Henry d’Angleterre. Ces deux seigneurs furent declarez innocens, l’an 1577, du règne d’Henry troisiesme, à la poursuite de messire Jacques de Coucy, fils dudict seigneur de Vervin, et petit-fils dudict seigneur mareschal de Biez ; et la vérification et publication de leur innocence en fut faicte en jugement à la ville de Boloigne le quatorzieme de juin [1]. »

Avouons les choses comme elles sont : les lettres patentes, les édits, les arrêts des princes, contiennent souvent des honnêtetés, qui, à proprement parler, ne sont que des complimens, et qu’il ne faut interpréter qu’à la manière des complimens. Croyez-vous qu’Henri III parlât selon sa pensée, lorsqu’il déclarait [2] que le duc d’Alençon, son frère, le roi de Navarre, son beau-frère, le prince de Condé, et tous les autres seigneurs, chevaliers, gentilshommes, officiers et habitans de son royaume, qui avaient eu part aux derniers troubles, avaient été en cela ses bons et loyaux sujets et serviteurs, et qu’il témoignait d’être bien et dûment satisfait et informé de la bonne intention dudit duc d’Alençon, et n’avoir été par lui, ni par ceux qui y sont intervenus, ou qui s’en sont en quelque sorte que ce soit mêlés, lant vivans que morts, rien fait que pour son service ? Croyez-vous que Louis XIII parlât plus sincèrement, lorsqu’il déclara [3] qu’il croyait et estimait que ce qui avait été fait par le prince de Condé et par ceux qui l’avaient suivi, avait été à bonne intention et pour son service ? Pareilles clauses se mettaient régulièrement dans tous les édits de paix depuis la première guerre civile de religion sous Charles IX [4], et sont devenues un formulaire dont on se servira toutes les fois que les besoins de l’état le demanderont. Les chefs de parti, dans une guerre civile embarrassante, capitulent pour l’ordinaire si heureusement pour leurs intérêts, qu’ils emportent ou un bâton

  1. Richeome, Plainte apologétique, num. 50, pag. 184, 185.
  2. Édit de l’an 1576, art. XLIX, LIII.
  3. Édit du mois de mai 1616, art. XVII.
  4. Voyez M. Daillé, Réplique à Adam et à Cottiby IIe. part., chap. XVIII, pag. m. 112, 113.