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MAROT.

quelle il lui dédie ce poëme est datée de Lyon, du 15 mai 1538. Plusieurs éditions de Marot [1], que j’ai consultées, ne m’ont appris rien de semblable [* 1] : le Temple de Cupidon y est au commencement sans date, et sans être dédié à qui que ce soit.

Ceci a besoin de réforme. Voyez la remarque (R).

(C) Il fut donné à la princesse Marguerite.] M. de Rocolles assure qu’elle le prit à son service en qualité de secrétaire [2]. Mais Marot, bien plus croyable qu’un autre, nous va dire que ce ne fut pas son emploi.

Rien n’ay acquis des valeurs de ce monde,
Qu’une maistresse, en qui git et abonde
Plus de savoir, parlant, et escrivant,
Qu’en autre femme en ce monde vivant.
C’est du franc lys l’issue Marguerite,
Grande sur terre, envers le ciel petite :
C’est la princesse à l’esprit inspiré,
Au cueur eslu, qui de Dieu est tiré
Mieux (et m’en crois) que le festu de l’ambre :
Et d’elle suis l’humble valet de chambre.
C’est mon estat. O juge plutonique :
Le roy des Francs, dont elle est sœur unique,
M’ha fait ce bien : et quelque jour viendra,
Que la sœur mesme au frère me rendra [3].


Ces vers nous apprennent que François Ier. le donna à la princesse sa sœur. Cela paraît aussi par ce passage :

Ainsi je suis poursuy, et poursuivant
D’estre le moindre, et plus petit servant
De vostre hostel (magnanime princesse)
Ayant espoir que la vostre noblesse
Ne recevra, non pour aucune chose,
Qui soit en moy pour vous servir enclose :
Non pour prier, requeste, ou rhetorique,
Mais pour l’amour de vostre frère unique,
Roy des François qui à l’heure presente
Vers vous m’envoye, et à vous me presente
De par Pothon, gentilhomme honnorable [4].

(D) Il fut blessé et fait prisonnier à la journée de Pavie. ] L’auteur de la Vie de Clément Marot, insérée dans le Recueil des plus excellentes pièces des poëtes français [5], n’a pas oublié cette aventure. Il allègue ces vers de Marot, sans nous apprendre de quelle pièce ils sont tirés [6].

Là fut percé tout outre rudement
Le bras de cil, qui t’ayme loyaument :
Non pas le bras, dont il ha de coustume
De manier ou la lance, ou la plume :
Amour encor le te garde et reserve,
Et par escrits veult que de loing te serve.
Finalement, avec le roy mon maistre
Delà les monts prisonnier se vid estre
Mon triste corps, navré en grand souffrance.
Quant est du cueur, long temps y ha, qu’en France
Ton prisonnier il est sans mesprison.

(E) Les bigots le firent mettre en prison comme suspect d’hérésie. ] Ce fut à l’instance du docteur Bouchard, et lors que François Ier. était prisonnier de Charles-Quint en Espagne. Le premier de ces deux faits se prouve par ces paroles de Marot :

Donne response à mon present affaire,
Docte docteur. Qu t’ha induit à faire
Emprisonner depuis six jours en ça,
Un tien amy, qui unc ne t’offensa ?
Et vouloir mettre en luy crainte, et terreur
D’aigre justice, en disant, que l’erreur
Tient de Luther ? Point ne suis luthériste,
Ne Zuinglien, et moins anabaptiste :
Je suis de Dieu par son filz Jesu Christ [7].


Dans la suite de cette lettre il continue à protester qu’il est orthodoxe, et bon catholique. La preuve du second fait est contenue dans les vers que je vais copier. Notez que Marot y conte ce qui se passa entre ses juges et lui pendant sa prison.

Or suis-je loing de ma dame, et princesse,
Et près d’ennuy, d’infortune, et destresse,
Or suis-je loing de sa tresclere face.
S’elle fust pres (ô cruel) ton audace
Pas ne se fust mise en effort de prendre
Son serviteur, qu’on n’ha point veu mesprendre :
Mais tu vois bien (dont je lamente et pleure)
Qu’elle s’en va (helas) et je demeure
Avec Pluton, et Charon nautonnier.
Elle va veoir un plus grand prisonnier :
Sa noble mere ores elle accompagne
Pour retirer nostre roy hors d’Espagne [8].


  1. (*) Si M. Bayle avait pu consulter les anciennes, particulièrement celle d’Étienne Dolet, Lyon, 1542, où cette épître se trouve, il aurait va qu’en effet, lorsque Marot composa son poëme du Temple de Cupidon, il était page de Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy. Ce poëme, au reste, paraissait pour le moins dès l’année 1532, puisqu’on le trouve parmi l’Adolescence Clémentine, réimpr., in-8°., à Paris cette année-là, par Geofroy Tory. Ainsi la dédicace du même poëme au seigneur de Villeroy, l’an 1638, regardait proprement une dernière révision que l’auteur en avait faite, et c’est aussi ce que cette dédicace dit expressément Rem. crit.
  1. Celle de Paris, chez Nicolas du Chesmin, 1545, in-16. Celle de Paris, chez Etienne Groulleau. 1552, in-16. Celle de Lyon, chez Guillaume Rouille, à l’écu de Venise, 1558, in-16. Celle de Rouen, chez Raphaël du Petit Val, 1596, in-12. Celle de Rouen, chez Claude le Vilain, 1615, in-12. Celle de la Haye, chez Adrien Moetjens, 1700, in-12.
  2. Rocolles, Hist. véritable du Calv., p. 154.
  3. Marot, au poëme intitulée l’Enfer, p. 43.
  4. Marot, dans le Despourveu à madame la duchesse d’Alençon, pag. 194.
  5. Imprimé à Paris, cher Claude Barbin, 1692.
  6. C’est de la Ire. élégie, pag. m. 47. Elle n’est point adressée au roi, comme on l’assure dans la Vie de Clément Marot, au-devant de ses Œuvres, à l’édition de la Haye, 1700.
  7. Marot, Épître à M. Bouchart, docteur en théologie, pag. 116.
  8. Marot, au poëme intitulé l’Enfer, p. 43.