madame de Sévigny [* 1], mais comme tout son engagement à l’état de cléricature n’allait qu’à pouvoir jouir de quelques pensions sur des bénéfices, sans contrevenir à la discipline moderne, ce qui le fâchait dans le discours du comte de Rabutin, était ailleurs que dans les quatre ou cinq premiers mots. Il n’a point fait difficulté d’avouer qu’il avait été amoureux : je ne prouve point cela par ses poésies, ce serait une preuve équivoque, ce langage-là est trompeur ; mais il l’a dit dans une épître dédicatoire très-sérieuse. Je vous prie de vous souvenir, dit-il en parlant au chevalier de Méré [1], que lorsque nous faisions notre cour ensemble à une dame de grande qualité et de grand mérite, quelque passion que j’eusse pour cette illustre personne, je souffrais volontiers qu’elle vous aimât plus que moi, parce que je vous aimais aussi plus que moi-même. Il avait promis un ouvrage que le public n’a point vu. C’est là qu’il se serait expliqué sur le chapitre de ses amours. Voici ce qui me le fait croire. « Que ne citait-il Madame de la Fayette et Madame de Sévigny qui sont de sa connaissance ? » C’est le père Bouhours qui a fait cette question. M. Ménage lui répondit :
« Pater Bohurse, flos scholæ Parisius,
» Desideramus hic tuam prudentiam.
» Le révérend père Bouhours m’accuse
en cet endroit d’avoir aimé
madame de Sévigny et madame de
la Fayette. Je répondrai à cette accusation
dans la défense de mes
mœurs : et j’y répondrai de sorte,
que les rieurs dont le père Bouhours
affecte le suffrage ne seront pas de
son côté [2]. » Après tout, les liaisons
de M. Ménage avec des dames
de beaucoup d’esprit lui ont fait honneur
dans le monde, et lui en feront
à l’avenir ; car il est si rare que tant
de grec et tant de grammaire n’étouffe
pas les talens qu’il faut avoir pour
être d’une conversation polie et galante
auprès des femmes de qualité,
que c’est une espèce de prodige. Au
reste, la vivacité de ressentiment
qu’il témoigna par ses vers latins
n’empêcha pas qu’il ne reconnût je
mérite de l’auteur qui avait choqué.
C’est un bel et bon esprit que M. de M. sy-Rabutin,
disait-il [3]. Je ne
puis n’empêcher de lui rendre cette
justice, quoiqu’il ait tâché de le
donner un vilain tour dans son Histoire
des Gaules. On ne peut pas
écrire avec plus de feu et plus
d’esprit qu’il fait dans cette histoire.
Cela sent un homme tout prêt
à se réconcilier. Il n’aurait point
fallu trouver étrange une pareille réconciliation,
puisque madame de Sévigny,
qui avait été si maltraitée dans
le même ouvrage, oublia l’affront, et
vécut avec l’auteur comme une très-bonne
parente. Cela paraît par les
lettres qu’elle lui écrivit, et qui ont
été imprimées avec celles de M. de
Labutin.
(C) La mémoire fut un don qu’il posséda éminemment, et qu’il conserva... et qu’il recouvra après quelque interruption. ] Que dans sa jeunesse il se soit heureusement souvenu des choses, ce n’est pas une rareté ; mais c’est une faveur singulière de son étoile, qu’il ne se soit pas aperçu en commençant de vieillir, que sa mémoire déchéait beaucoup ; car c’est l’infortune trop ordinaire des gens de lettres. Citons ici une chose qu’on publia en 1685. Plusieurs historiens tombent dans un défaut très-absurde, « c’est qu’ils rapportent une même chose tantôt d’une façon tantôt d’une autre. Il vaudrait mieux pour l’honneur de leur mémoire qu’ils se trompassent toujours ; mais d’autre côté l’on peut dire que comme la mémoire est le premier mourant dans un homme docte, et la qualité qu’il est le plus impossible de retenir, il ne faut point examiner trop à la rigueur les faux pas que l’oubli fait faire. Il semble que l’on doit avoir pour ces fautes-là le même support que pour celles que les théologiens nomment quotidianæ incursionis, puisqu’il est certain que l’oubli est un défaut
- ↑ * C’est de madame de Sévigné qu’il s’agit. Joly croit que Ménage n’était amoureux de madame de Sévigné que ad honores.
- ↑ Ménage, épître dédicat. des Observations sur la langue française, folio a. iij. Voyez aussi ce qu’il avoue dans un Dialogue de Sarrasin, pag. m. 146, et qui est rapporté dans les Nouvelles Lettres contre Maimbourg, p. 777.
- ↑ La même, Observations sur la Langue française, tom. II, pag. 211, 212.
- ↑ Suite du Ménagiana, pag. 336, édit. de Hollande.