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MILLETIÈRE.

abandonnée après lui avoir déchiré les entrailles, que des préjugés outrageux à la mémoire du feu roi d’Angleterre, que des subornations flatteuses pour son successeur, et que des victoires imaginaires sur ceux que lui ni les chefs de son parti n’oseraient de bonne guerre avoir regardés en face ; et tout ce bel appareil, joint à la réfutation prétendue de M. Aubertin, porte ce titre spécieux et ampoulé, du Triomphe de la Vérité pour la Paix de l’Église. Quoique le roi d’Angleterre fit d’abord un assez mauvais accueil à cette dédicace, il pensa néanmoins croire ceux qui le persuadaient de la mépriser, sans faire paraître en public qu’elle lui déplaisait ; mais venant puis après à considérer que cet attentat donnait prise aux insultes de ses ennemis, il fit commandement à un docte évêque qui était lors près de sa personne, d’y faire réponse, sans toucher, sinon en passant, à ce superbe livre dont elle décorait le frontispice. » Il ne faut que cela pour comprendre que M. de la Milletière écrivait sans jugement. Toute la terre savait que les ennemis de Charles Ier. l’avaient accusé d’être fauteur du papisme, et que rien n’était plus propre à fomenter l’aversion des républicains anglais pour la famille de ce roi, que la pensée qu’il n’avait point été protestant ; et voici un écrivain qui a l’audace de dédier à Charles II un livre où il suppose que Charles Ier. est mort membre invisible de l’Église romaine [1]. L’auteur de la réponse lui fait là-dessus une remontrance fort modérée. Plusieurs et des mieux avisés trouvent, lui dit-il [2], que vous avez manqué beaucoup de discrétion en faisant voir le jour à un traité de la nature qu’est le vôtre, sous la protection de Sa Majesté, sans sa permission et contre sa conscience. Est-il possible que vous avez ignoré que de pareilles insinuations aux vôtres, et des bruits sans aucun fondement que l’on faisait courir, touchant le dessein que devait avoir le feu roi son père, de se jeter dans l’Église romaine, lui ont fait perdre les cœurs de quantité de ses sujets ? Et si vous l’avez su, d’où vient que vous osez marcher sur les mêmes pas, d’ôter au fils pour jamais l’espérance de les recouvrer ? La réponse qu’il lui fait ailleurs est un peu plus animée [3] : « Vous avez bien le front d’affirmer que ce prince est mort invisiblement vrai membre de votre Église, ainsi qu’elle est distinguée d’avec le reste du monde chrétien : ce qui est une vieille fraude pieuse [4], et un de vos machiavélismes pour acquérir du crédit à votre religion par quelques moyens que ce soit, ou faux ou légitimes ; mais tout-à-fait contraire à la confession qu’il en fit à sa mort ; contraire à ce qu’en savent très-expressément ceux qui assistèrent au meurtre de ce pieux monarque ; et tout cela, je m’imagine, sur cette vaine présomption, qu’il n’y a point d’autre Église que la vôtre qui fût capable d’engendrer un tel enfant. » Notez que l’auteur oppose à cette maxime un dogme très-remarquable, que l’évêque de Chalcédoine [5] a soutenu dans deux traités qu’il a mis au jour, à savoir que si ceux qui vivent dans la communion de l’Église protestante, s’efforcent d’apprendre la vérité, et n’y peuvent atteindre à cause de leur insuffisance, mais qui l’embrassent implicitement en préparant leurs cœurs pour la recevoir, et sont tout prêts de le faire quand il plaira à Dieu de le leur révéler (ce qui est le devoir de tout bon chrétien), ils ne sauraient manquer d’Église, de foi, ni de salut [6]. » Voilà une maxime [7] qui pourrait fournir bien des réflexions pour un supplément au Commentaire philosophique sur Contrains-les d’entrer. Cela soit dit en passant.

Si La Milletière n’avait pas été engagé depuis plus de vingt-cinq ou trente ans à des études de controver-

  1. Réponse à l’épître dédicatoire de la Milletière, pag. 34.
  2. Là même, pag. 35.
  3. Réponse à l’Épître dédicatoire de la Milletière, pag. 163.
  4. Voyez, tom. I, pag. 101, la remarque (F) de l’article Abulpharage.
  5. Dont il est parlé, tom. VIII, pag. 565, remarque (A) de l’article Knot.
  6. Réponse à la Milletière, pag. 165.
  7. Conférez ce que dit Caramuel. cité par Nicolle, de l’Unité de l’Église, pag. 71.