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MACRON.

cusation fut fondée sur ce que ces trois Romains étaient reconnus pour des galans d’Albucilla[1] : on concluait apparemment qu’ils avaient su sa conspiration, puisqu’ils avaient avec elle un mauvais commerce de galanterie. Ordinairement parlant, cette manière de raisonner est assez juste ; et si l’on ne voit guère de femmes dans des procès de crime d’état, sans qu’elles aient des galanteries, on n’en voit guère non plus qui n’aient communiqué leur complot à leurs galans. La liaison de ces choses est un fait dont on devine facilement les raisons, et l’on voit aussi sans beaucoup de peine pourquoi les femmes qui ressemblent à donna Hippolyte d’Aragon, baronne d’Alby[2], sont celles qui s’engagent le plus fréquemment à une conspiration. N’oublions pas qu’Albucilla se voulut tuer ; mais elle n’eut pas la force de se donner un bon coup. Albucilla inrito ictu à semet vulnerata, jussu senatûs in carcerem fertur[3]. Tacite, qui nous apprend que le sénat la fit porter en prison, s’arrête là, et ne dit point ce qu’elle devint. Il observe que presque toutes les preuves qui furent envoyées contre les trois accusés, étaient des suppositions de Macron. C’est qu’on le connaissait pour l’ennemi déclaré d’Arruntius. Sed testium interrogationi, tormentis servorum Macronem præsedisse, commentarii ad senatum missi ferebant : nullæque in eos imperatoris litteræ, suspicionem dabant, invalido ac fortassè ignaro, ficta pleraque ob inimicitias Macronis notas in Arruntium[4]. Il est assez probable que Macron se comporta très-injustement dans cette affaire : mais il n’eût pas pu éviter, non pas même par l’observation exacte des procédures juridiques, que l’on ne le soupçonnât d’avoir opprimé des innocens ; car lorsqu’un monarque, ou ses favoris, ou ses ministres, sont haïs du peuple, on ne veut presque jamais croire que ceux qu’ils punissent soient coupables. C’est ce qu’on a vu en France sous le ministère du cardinal de Richelieu[5].

(B) Il se servit des cajoleries de sa femme Ennia. ] C’est l’opinion de Tacite : Supremi Tiberio consules, Cn. Acerronius, C. Pontius magistratum occepere, nimiâ jam potentiâ Macronis : qui gratiam C. Cæsaris nunquàm sibi neglectam, acriùs in dies fovebat, impuleratque post mortem Claudiæ, quam nuptam et rettuli, uxorem suam Enniam immittendo, amore juvenum inlicere, pactoque matrimonii vincire ; nilil abnuentem dùm dominationis apisceretur [6]. Mais Suétone narre le fait autrement. Il veut que Caligula ait fait toutes les avances auprès de la femme de Macron, et l’ait engagée par une promesse de mariage à lui procurer les bons offices de son mari. Quam (spem successionis) quo magis confirmaret, amissâ Juniâ ex partu, Enniam Næviam[7] Macronis uxorem, qui tùm prætorianis cohortibus præerat, sollicitavit ad stuprum, pollicitus et matrimonium suum, si potitus imperio fuisset : deque eâ re et jurejurando et chirographo cavit. Per hanc insinuatus Macroni, veneno Tiberium aggressus est [8]. Dion a mieux aimé se conformer à la narration de Tacite qu’à celle de Suétone ; car il a dit que Caligula fut attiré par le mari même à faire l’amour à la femme[9]. Tournez-vous de quelque côté qu’il vous plaira, vous rencontrerez partout de la probabilité. On ne choquera point la vraisemblance en disant que Macron, plus ambitieux que jaloux, porta sa femme à mettre Caligula dans ses filets, et à ne lui rien refuser de tout ce qui serait propre à captiver un jeune prince impudique.

  1. Connectebantur ut conscii et adulteri ejus. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XLVII.
  2. Voyez, dans le Recueil de diverses pièces curieuses pour servir à l’Histoire, la Conjuration de cette dame sur la ville de Barcelone en faveur du roi catholique, en l’an 1645, 1646, 1647 et 1648, pag. 43 et suiv., édit. de Hollande, 1664.
  3. Tacit., Annal., lib. VI, c. XLVIII.
  4. Idem, ibid., cap. XLVII.
  5. Voyez, tom. IX, pag. 448, la remarque (F) de l’article de Louis XIII.
  6. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XLV, ad ann. 790.
  7. Il faut lire, comme Casaubon l’a fort bien conjecturé, Nævii Macronis.
  8. Sueton., in Calig., cap. III.
  9. Ἐς ἔρωτα αὐτὸν τῆς ἑαυτοῦ γυναικὸς Ἐννίας Θρασύλλης προῦτῆκτο. Eum in amorem uxoris suæ Enniæ Thrasyllæ pellexerat Dio, lib. LVIII, in fine.