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MONTMAUR.

passé pour le plus grand parasite de son temps (A), et il se rendit si odieux aux beaux esprits, qu’ils employèrent contre lui tous les traits, et toutes les inventions de la satire la plus outrageante (B). Il étudia les humanités chez les jésuites de Bordeaux [a] ; et comme il avait une mémoire extraordinaire, il fit concevoir de si hautes espérances du progrès de ses études, qu’on l’engagea à prendre l’habit de jésuite. On l’envoya à Rome où il enseigna la grammaire pendant trois ans avec beaucoup de réputation [b]. On le congédia ensuite, parce que l’on vit que sa santé était chancelante. Il s’érigea en vendeur de drogues à Avignon, et amassa bien de l’argent par ce moyen [c]. Après cela il vint à Paris ; et n’ayant pas trouvé son compte au barreau [d], il se tourna du côté de la poésie [e], parce qu’il espéra de participer aux présens dont le cardinal de Richelieu gratifiait les bons poëtes [* 1] : il cultiva ce qu’il y avait de plus puérile dans ce bel art, je veux dire les anagrammes, et tels autres jeux de mots (C). Il succéda à Goulu dans la chaire de professeur royal en langue grecque [f]. Voilà les faits véritables que j’ai cru pouvoir tirer de sa Vie, composée par M. Ménage, où ils sont mêlés avec beaucoup de fictions ingénieuses et satiriques. Je n’y ai pu découvrir la patrie de Montmaur ; mais, si l’on prenait au pied de la lettre certaines paroles d’une autre satire, l’on assurerait qu’il naquit dans le Querci. Ce serait se tromper ; car il naquit dans le Limousin (D). J’ai lu dans les Mémoires de l’abbé de Villeloin, qu’en 1617 il fut donné pour précepteur au fils aîné du maréchal de Praslin (E). Je rapporterai une histoire très-curieuse qui fera voir tout à la fois ses hâbleries, et la fausseté d’un conte qu’on publia contre lui (F). Il me semble qu’on peut dire sans se tromper que cet homme-là n’était pas à beaucoup près aussi méprisable qu’on le représente. Il aimait trop la bonne chère ; il allait manger chez les grands plus souvent qu’il n’eût fallu ; il y parlait avec trop de faste, je n’en doute point ; mais si la fécondité de sa mémoire, si sa lecture, si sa présence d’esprit, ne l’eussent rendu recommandable (G), aurait-il eu tant d’accès chez M. le chancelier [* 2], chez M. le président de Mesmes, et auprès de quelques autres personnes éminentes, et par leur rang, et par leur bon goût, et par leur érudition ? Gardons-nous bien de prendre pour un fidèle portrait les descriptions satiriques que

    réflexions également curieuses et instructives de Bayle. Il relève aussi quelques méprises échappées à cet habile homme dont la mémoire sera toujours en recommandation aux gens de lettres.

  1. * Leclerc observe que Montmaur fut, ainsi que le dit Bayle dans la remarque (M), nommé à la chaire du collége de France, dès 1623, et que ce ne fut qu’après 1624, que Richelieu commença à répandre des libéralités sur des poëtes. L’idée que Bayle suppose à Montmaur est donc fausse.
  2. * Le chancelier d’Aligre.
  1. Menagius in Vitâ Gargilii Mamurræ, pag. m. 10.
  2. Idem, ibid., pag. 11.
  3. Idem, ibidem.
  4. Idem, ibid., pag. 12.
  5. Idem, ibid., pag. 15.
  6. Idem, ibid, pag. 17.