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MACRON.

leur condamnation en s’ôtant la vie. Προκαλουμένου διὰ τούτου τοὺς ἀνθρώτους τοῦ Τιϐερίου αὐτοέντας γενεσθαι, ἵνα μὴ αὐτὸς σϕᾶς ἀποκτείνειν δόκη· ὥσπερ οὐ πολλῷ δεινότερον ὂν αὐτοχειρίᾳ τινὰ ἀποθανεῖν ἀναγκάσαι, τοῦ τῷ δημίῳ αὐτον παραδοῦναι. Alliciente per hæc Tiberio homines ad consciscendam sibi ipsis mortem, ne ipse eos necâsse videretur : quasi verò non longè graviùs sit adigere aliquem ad manus sibi inferendas, quàm spiculatori eum tradere.[1]. On voit aussi dans Suétone la mort violente de Macron et d’Ennia parmi les grands crimes de cet empereur. Et in primis ipsum Macronem, ipsam Enniam adjutores imperii quibus..... pro meritorum gratiâ cruenta mors persoluta est[2]. Si l’on ne connaissait Macron que par le portrait que l’on en trouve dans un ouvrage d’un auteur juif, on le plaindrait d’avantage ; car on le prendrait pour un honnête homme, et l’on ne saurait rien des mauvaises qualités que Tacite et Dion Cassius lui attribuent.

Philon a fait une liste des crimes de Caligula, dans laquelle il a mis au premier rang le meurtre du petit-fils de Tibère, et au second la mort de Macron. Il dit que Tibère, ayant découvert, par la sagacité et par la pénétration de son esprit, le naturel corrompu de Caligula, n’avait nulle envie de lui laisser l’empire romain ; mais que Macron s’appliqua si adroitement à lui lever tous ses soupçons, et à lui faire l’apologie de ce jeune prince, que cela prévint toujours le coup fatal qui l’eût pu exclure. Lorsque les raisons de Macron n’agissaient pas assez fortement, il s’offrait d’être caution de tout ce qu’il alléguait en faveur de Caligula. Cette promesse était de grand poids ; car il avait donné de très-grandes preuves de son zèle pour la famille impériale, et pour la personne de Tibère en particulier, lorsqu’il avait eu la commission de faire périr Séjan. Ce qu’il fit pour Caligula, auprès de Tibère, égalait ou surpassait tout ce qu’on peut mettre en œuvre pour un frère ou pour un fils. Deux choses l’y engagèrent ; car il voyait que son amitié était cultivée par Caligula avec toutes sortes de soin, et il avait une femme qui le sollicitait incessamment de ne perdre aucune occasion de servir et d’obliger ce jeune prince. L’auteur que j’abrége remarque que la raison qui engageait cette femme à prendre si fort à cœur les intérêts de Caligula, était une chose dont on ne parlait pas[3] : mais il la fait assez entendre, lorsqu’il ajoute qu’une femme, et surtout quand elle est infidèle, à beaucoup de force sur l’esprit de son mari ; car comme elle se sent coupable, elle redouble ses caresses et ses flatteries. Macron, continue t-il, ne savait pas son déshonneur domestique, et s’imaginait que l’amitié conjugale rendait son épouse si caressante envers lui. Δεινὸν δε γυνὴ γνώμην ἀνδρὸς παραλύσαι καὶ παραγαγεῖν, καὶ μάλιςα μαχλάς· ἕνεκα γὰρ τοῦ συνειδότος κολακικωτέρα γίνεται ὁ δε τὴν διαϕθορὰν μὲν τοῦ γάμου καὶ τῆς οἰκίας ἀγνοῶν, τὴν δε κολακείαν εὔνοιαν ἀκραιϕνεςάτην εἶναι νομίζων, ἀπατᾶται. Est autem ad impellendum virum efficax impudica mulier, ut que blandior si propter conscientiam. At ille ignarus probri domestici, et ratus ab amore conjugali proficisci eas blanditias decipitur[4]. Or se souvenant très-bien qu’il avait sauvé Caligula plus d’une fois, il lui donnait des avis fort librement : il voulait en bon ouvrier, que la durée de son ouvrage lui fît honneur ; c’est pourquoi il corrigeait par ses bons avertissemens, et le mieux qu’il lui était possible, les défauts de l’empereur qu’il avait créé, et lui faisait connaître les devoirs et la véritable gloire de ceux qui occupent un tel poste. Caligula se montrait rebelle à ces leçons, et se vantait hautement de n’avoir aucun besoin d’un tel pédagogue. Voilà comment Macron lui devint odieux. Ce méchant prince ne songea qu’à s’en défaire, et qu’à chercher des prétextes qui eussent un air plausible. Il crut en avoir trouvé de tels, lorsqu’il allégua que Macron disait : Caligula est mon ouvrage ; c’est ma créature autant ou

    taient tués avant la fin du procès. Voyez Dion, lib. LVIII, pag. 723.

  1. Dio, lib. LVIII, pag. 723.
  2. Sueton., in Calig., cap. XXVI.
  3. Ἡ Μώκρωνος γυνὴ διὰ σιωπωμένην ἀιτίαν. Uxor Macronis propter quiddam tectum silentio. Philo. de Legatione, pag. 997.
  4. Idem, ibidem, E.