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MORGUES.

grand ami qu’il ait jamais eu a été Fancan ; homme reconnu de tous pour impie, et qui avait réputation de ne croire pas en Dieu ; et qui est convaincu d’avoir toujours favorisé Les intérêts de l’hérésie, dedans et dehors de royaume, contre le roi. Ces mœurs, ces discours, et ces hantises lui ont donné si mauvaise réputation, que le roi, à la recommandation de quelques-uns qui ne le connaissent pas assez, l’ayant nommé à l’évêché de Toulon, il y a quelques années, il n’a pas trouvé d’assez puissans témoignages de gens de bien, pour pouvoir induire sa sainteté à lui accorder ses bulles, de sorte qu’il a été contraint de se défaire de son évêché. Je ne rapporte point la réponse de Matthieu de Morgues touchant ses liaisons avec Fancan [1] ; je m’arrête à ce qui concerne le refus des bulles. « Celui qu’il accuse lui assure que jamais il n’a disputé des priviléges de l’église gallicane ni pour ni contre. Ce n’est pas aussi ce qui arrêta ses bulles, mais les mauvais offices du cardinal, qui se laissa persuader par deux hommes malins, que la dignité d’évêque rendrait plus considérable auprès de la reine celui qu’on avait toujours éloigné parce qu’on se défiait de ses connaissances et de son courage. Si Mulot était en colère contre le cardinal, il découvrirait ce qu’il traita avec feu M. d’Herbault, secrétaire d’état ; et si l’évêque de Mende, du Plessis, vivait, et qu’il voulût dire la vérité, on saurait les tours de souplesse que le cardinal a joués en cette affaire. Sa sainteté connut la malice, et un des plus sages cavaliers de France peut témoigner ce que le pape dit sur ce sujet en accordant les bulles qui étaient commandées lorsque la permission de tirer récompense de l’évêché fut demandée pour d’autres considérations [2]. » Il répondit à peu près la même chose au sieur Sirmond. Sabin dit aussi que les bulles de l’évêché de Toulon m’ont été refusées : il se trompe. Le cardinal de Richelieu a pu les arrêter par ses artifices, mais non pas les faire refuser. Sa sainteté est trop juste, pour me ravir la récompense des services que j’avais rendus vingt ans à l’église ; et le roi trop généreux, pour souffrir qu’on ait condamné sa nomination. Certaines personnes, contre les préceptes de charité, se joignirent aux appréhensions du cardinal, qui me traversait mais la difficulté était levée, lorsque de mon mouvement je demandai au roi qu’il me permît de choisir un évêque : ce que S. M. m’octroya avec regret. Je retins une partie du revenu, que la vengeance du cardinal m’a ôtée, parce que j’ai défendu la réputation de la princesse qui lui en a donné cent fois davantage [3]. Il ne nie pas qu’il n’ait eu des liaisons d’amitié avec MM. Servin, Gillot et Derivaux, ces bons Gaulois, savans magistrats et juges incorruptibles [4].

Je rapporte ces choses, afin qu’on voie quel était l’esprit qui avançait ou qui reculait en ce temps-là les promotions. Je pense que ces mauvaises intrigues ne finiront qu’avec le monde.

(F) Le cardinal de Richelieu avait pris des mesures pour l’arrêter prisonnier dans sa retraite. ] Le cardinal de Richelieu fit expédier une commission adressante au sieur de Machault, intendant de Languedoc, pour arrêter prisonnier Matthieu de Morgues. Cet intendant se déchargea de la commission sur le prévôt de Nîmes, et sur celui de Vélay, et écrivit au juge Mage du Puy et à quelques seigneurs de tenir la main pour le service du roi à cette capture. La commission portait, qu’on prît Saint-Germain vif ou mort ; qu’on le saisît sans faire inventaire de tous les papiers qu’on trouverait dans le logis, et qu’on les envoyât à Beaucaire, cependant que le prisonnier serait conduit à Mende, pour être mis entre les mains de l’évêque [5]. L’auteur croit que ce prélat, qui avait été valet du cardinal, l’eût fait étrangler ou empoisonner sans bruit. Il fut averti de l’entreprise le soir auparavant, et quitta le logis de son père, et trouva une retraite dans le pays le plus rude de France, où il fut caché six semaines avec toute sorte d’incommodités

  1. Elle est à la page 11 et 12 de ses Reparties.
  2. Morgues, Reparties, pag. 10.
  3. Le même, Lettre de Change protestée, pag. 924, 925.
  4. Là même, pag. 925.
  5. Le même, Reparties, pag. 4.