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MORGUES.

quelques Français, qui avaient donné un si grand déplaisir à ce bon seigneur, que son esprit et son corps en étaient également malades. S’il demeure d’accord que ce livret soit méchant, ayant été apostillé et augmenté de sa main, sur un original fait sur ses mémoires, sacrifié à ses prières, et au commandement qu’il en fit donner à l’auteur par la reine (laquelle comme bonne maîtresse voulait retirer de cardinal du désespoir) l’ouvrier se condamnera plutôt d’avoir excédé en louanges que d’avoir offensé par calomnies. Encore faudrait-il considérer que cet écrit fut fait l’an 1626, auquel temps le cardinal était dans la modestie, dans les bonnes grâces de sa maîtresse, et couvrait ses desseins jusques à ce qu’il eût acquis la puissance pour les faire valoir : de sorte qu’on ne peut dire que les choses qui ont été dites à son avantage devant qu’il mît tout le royaume et toute l’Europe en confusion, puissent servir de justification à celui qui n’est accusé que de crimes plus récens, ni de conviction contre un homme qui a estimé le cardinal lorsqu’il n’était point ou changé ou découvert [1]... Si vous dites que Saint-Germain a changé de discours, il vous dira que le cardinal a changé de façon de vivre ; que Dieu même nous traite d’une autre sorte quand nous sommes pécheurs, qu’il ne faisait lorsque nous étions en sa grâce. Le cardinal n’avait pas encore découvert ses entreprises...... Celui que vous accusez de légèreté... a appris depuis l’an 1626, les mauvaises actions que le cardinal avait faites devant ce temps-là, et les publiques qu’on a vues nous ont portés à nous mieux informer des secrètes……. la contradiction doit être pour un même temps, et pour une même action [2].

On m’avouera qu’il n’était guère possible de faire une meilleure apologie que celle-là, de l’inconstance de plume dont il était accusé. S’il agissait sincèrement dans ce moyen de défense, c’est une autre question. On pourrait dire par conjecture, que si les intérêts du cardinal eussent été toujours combinés avec ceux de la reine-mère, et qu’il eût fait toutes les autres choses qu’il fit, excepté les duretés qu’elle essuya, Saint-Germain eût continué à le louer, et à le défendre contre les libelles des Autrichiens et des Français mécontens. Les découvertes qu’il eût pu faire sur les actions de ce grand ministre, n’eussent pas été destinées à l’instruction du public. Avouons néanmoins qu’il fut louable en bien des choses ; car il n’aurait pas été maltraité par le cardinal, s’il n’eût fait paraître une âme ferme, incapable de lâcheté, et capable de sacrifier sa fortune à la fidélité pour les intérêts de sa maîtresse. Nous verrons ci-dessous [3] les louanges qu’un critique lui a données.

Notez qu’il avoue dans la lettre du 5 de juin 1625, qu’il a de grandes obligations au cardinal, et qu’il en a reçu beaucoup de bienfaits. Cependant, voici comme il parle dans un ouvrage publié l’an 1631 [4] : Ce bon prélat, qui appelle vénale la plume qui a écrit pour le cardinal, .…. a oublié de lui demander ce qu’il avait donné à Saint-Germain pour le Théologien sans passion, et pour la récompense de plusieurs autres signalés services, comme pour la recherche exacte faite dedans et dehors le royaume, des papiers, mémoires, instructions, et traités qui le pouvaient rendre savant dans les affaires étrangères, et d’un grand nombre de curiosités [5], et agréables inventions qu’il a désirées et payées d’un remercîment suivi le lendemain ou le même jour d’un mauvais office dans l’esprit de la reine, et surtout auprès du nonce de sa sainteté, auquel il fit entendre que Saint-Germain était auteur du Théologien sans passion, où il était désigné en termes couverts, encore que le cardinal eût mis de sa main le trait qui le pouvait offenser. Voilà la monnaie avec laquelle il a payé la plume qu’on appelle vénale. Ceci est non-seulement curieux, mais même fort vraisemblable. Le cardinal avait des vues si longues, tant d’ambition et tant d’ennemis, tant d’embûches à prévenir et à dresser, qu’il fallait qu’il

  1. Morgues, Reparties, pag. 8.
  2. Là même, pag. 12.
  3. Dans la remarque (K).
  4. Morgues, Reparties, pag. 9.
  5. Joignez à ceci ces paroles de la Lettre de Change protestée, pag. 941 : Le cardinal de Richelieu que tous ses flatteurs tiennent pour le plus délicat esprit de ce temps, a souvent employé et éprouvé le mien en choses solides et curieuses, en latin, en français, en prose et en vers.