Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
526
MORGUES.

épuisé toutes mes forces à la Rochelle [1]. » On suppose que cet abbé, d’un visage intrépide, et au-dessus de la crainte, ne fit que secouer la tête, et que, regardant l’éminence : Votre fierté, dit-il, n’est plus de saison ; vous n’avez plus d’armées pour la soutenir ; le temps de votre règne est passé, et j’ai l’avantage que la vérité marche à mes côtés, et que je suis dans un lieu où vous ne tenez de rang que celui d’auteur [2]. M. Guéret ajoute [3] que l’abbé se sauva de la tempête que l’on voulait soulever contre lui : mais il y eut de grandes contestations, à qui l’aurait entre les historiens et les faiseurs de libelles pendant les guerres. Les uns et les autres alléguaient de fortes raisons sur ce sujet ; et jamais le différent n’eût cessé, si lui-même, fatigué de cette ennuyeuse cérémonie, ne se fût avisé de gagner une petite éminence joignant au Parnasse, où les savans de son caractère et de sa profession, se mettent à l’écart pour n’avoir rien de commun avec les autres, qu’ils nomment profanes. Bironat qui l’aperçut le premier courut au-devant de lui, et après plusieurs embrassades réciproques : Vous renoncez donc, lui dit-il, au panégyrique de saint Joseph, et ce bon Saint vient de perdre en vous un de ses adorateurs plus zélés et son prédicateur ordinaire [* 1].

Si j’ai allégué plus de choses que le texte de cette remarque n’en demandait. ç’a été pour faire servir une introduction qui nous apprend ce qu’un bel esprit pensait de notre Matthieu de Morgues.

(L) Patin a parlé plus d’une fois de son Histoire de Louis XIII. ] Voici un extrait de sa lettre CCCLI, datée du 20 de mars 1665. « Hier, jour saint Joseph, monsieur Matthieu de Morgues, âgé de quatre-vingt-deux ans, fit un sermon dans les Incurables, où il demeure, en l’honneur de saint-Joseph, en présence de la reine : c’est celui qui écrivait à Bruxelles contre le cardinal de Richelieu, pour la reine-mère, dont il était aumônier ; c’est un savant homme et grand personnage, qui a devers soi la parfaite Histoire du feu roi Louis XIII, laquelle il ne veut être imprimée qu’après sa mort. Il en a fait faire six copies manuscrites qu’il a commises à six de ses bons amis, qui ne manqueront point d’exécuter ses intentions en temps propre [4]. » Voyons aussi ce qu’il a dit dans la lettre CDLVIII. Il y a apparence que cette histoire [5] sera réfutée par celle qu’on nous promet de monsieur Matthieu de Morgues, sieur de Saint-Germain, qui commence à la naissance du roi Louis XIII jusqu’à sa mort : ce monsieur de Saint-Germain ne veut point que son histoire soit imprimée de son vivant, mais seulement tôt après sa mort, et m’a dit qu’il l’a mise entre les mains de gens qui ne lui manqueront point. Notez qu’il est âgé de quatre-vingt-quatre ans : je ne souhaite point sa mort, et j’en serais bien fâché ; mais je voudrais bien avoir vu cette histoire, de laquelle je lui ai ouï dire de très-belles particularités, et d’étranges vérités, tant aux dépens du cardinal de Richelieu, que pour la défense de la reine-mère [6]. Cet homme, dit-il ailleurs [7], sait une infinité de particularités de la cour depuis 60 ans, et en a vu une partie, y étant auprès de la reine-mère : l’histoire qu’il a écrite sera fort belle ; il y aura divers mémoires qui ont été cachés jusques ici qui seront révélés ; il y aura des vérités fort sanglantes du gouvernement de ce cardinal, qui a régenté la France trop cruellement, et in virgâ ferreâ.

Voilà deux hommes, dont l’un n’était guère propre à faire l’histoire du cardinal de Richelieu, et l’autre était fort disposé à ne point lire équitablement. Patin haïssait l’abus de la puissance souveraine : la raison et la nature lui inspiraient cette passion. Par-là il était tombé dans une aversion sans bornes pour le cardinal de Richelieu : il eût donc ajouté foi à

  1. (*) Tous les ans il prêchait aux Incurables le jour de Saint-Joseph.
  1. Guerre des Auteurs, pag. 104, édit. de Hollande.
  2. même, pag. 106.
  3. Là même, pag. 109.
  4. Patin, lettre CCCLI, pag. 39 du IIIe. tome.
  5. Celle du cardinal de Richelieu, par le père le Moine.
  6. Patin, lettre CD LVIII, pag. 345 du IIIe. tome.
  7. Lettre D XXIX, pag. 574 du même volume.