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MUSURUS.

je suis fort tenté de rejeter ce que dit Paul Jove ; car je ne trouve nullement vraisemblable que depuis qu’en 1509, les Vénitiens eurent repoussé l’empereur Maximilien qui avait assiégé Padoue, et que leurs affaires se rétablirent assez avantageusement, ils n’aient songé à remplir la profession de la langue grecque qu’en 1518. Mais voici des paroles d’Alde Manuce, qui nous apprennent que Paul Jove n’a point parlé exactement. Elles témoignent que Musurus faisait des leçons dans Venise sur les anciens auteurs grecs, lorsqu’il fut attiré par Léon X. Hæc autem à nobis præstari tibi potuerunt suasore adjutoreque M. Musuro, quem nuper heroicarum litterarum decus Venetiis propagantem Græciæ priscis autoribus partim illustri juventuti enarrandis non sinè laude, partim emendatione castigationeque in pristinum nitorem quoad ejus fieri poterat, restituendis, Leo X, Pont. Opt. Max. sponte suâ nihil tale cogitantem admirabili consensu sacrosanctorum cardinalium in archiepiscopalem dignitatem evexit [1]. Alde Manuce reconnait là les secours qu’il avait reçus de Musurus pour l’édition de Pausanias. Disons en passant, qu’on voit à la tête de cette édition une lettre grecque de Musurus à Jean Lascaris, de laquelle M. Perrault se peut prévaloir ; car elle réfute ceux qui n’admirent que l’antiquité.

Pour rectifier la narration de Paul Jove, l’on doit supposer que Marc Musurus en quittant Padoue se retira à Venise, et qu’il y fit des leçons jusques au temps qu’il alla à Rome. Il faut dire aussi que le successeur que le sénat de Venise lui voulait donner l’an 1518, devait remplir non la chaire de Padoue, mais celle de Venise. Nous verrons ci-dessous [2] dans un passage de Piérius Valérianus, que Musurus enseigna premièrement à Padoue, et puis à Venise. Il enseignait à Venise en 1513 et en 1514 comme nous l’apprend Manuce dans l’épître dédicatoire de son Athénée.

(C) Tous les embellissemens du récit de Varillas sont romanesques. ] Il nous apprend que Musurus s’était déjà signalé en Candie par sa critique sur les auteurs grecs, lorsque la république de Venise lui donna une chaire à Padoue ; que le nombre de ses auditeurs y fut si grand, qu’il fallut agrandir l’école publique, et permettre à Musurus d’enseigner la grammaire le matin, et la poésie le soir, pour satisfaire ceux qui voulaient l’entendre expliquer ces deux arts libéraux ; qu’il continua de professer jusqu’à ce que la guerre déserta son auditoire, et l’obligea lui-même de penser à sa sûreté ; qu’il se retira à Rome, où il composa un poëme [3] qui fut trouvé trop admirable pour lui être attribué ; qu’on aima mieux donc le soupçonner de l’avoir trouvé dans un ancien manuscrit, et publié sous son nom ; que cette défiance était fondée sur ce qu’il n’était pas possible qu’un homme fit alors un ouvrage, où le caractère et les grâces qu’avait eus la poésie grecque au siècle d’Alexandre, fussent établis dans le plus haut point de leur perfection : que Musurus aida de son côté à confirmer cette pensée, car il ne voulut plus rien composer de cette nature, de peur de diminuer par une pièce faible ou moins achevée la haute réputation où il était parvenu tout d’un coup, et sans y penser ; qu’il se contenta de faire voir, en expliquant aux Romains les plus beaux endroits, d’Homère, d’Hésiode, de Théocrite et d’Anacréon, qu’il avait pu les imiter puisqu’il en connaissait si parfaitement le tour et la délicatesse ; et de mener une vie si réglée, que l’on vint insensiblement à cesser de le soupçonner d’injustice ; qu’il en était lâ quand Léon X fut élu pape ; qu’il ressentit les premières gratifications de ce pontife, et qu’il fut pourvu de l’archevêché de Raguse ; qu’il se mit aussitôt à faire des brigues pour être cardinal ; qu’il quitta ses livres pour étudier l’intrigue ; qu’il se rendit si habile, que le pape étonné de ce changement lui en fit la guerre, et l’en railla quelquefois ; qu’il ne laissa pas de continuer, et qu’il prit tant de nouvelles mesures avec ceux qu’il voyait être bien en cour, qu’ils lui donnèrent assurance d’un chapeau à la première promotion ; que le pape avait pris plaisir de les tromper, afin de se divertir mieux de ce que Musu-

  1. Aldus Manutius. præfat. in Pausaniam.
  2. Dans la remarque (F).
  3. C’est l’Éloge de Platon.