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MAHOMET.

dre qu’il s’est présenté à Mahomet sous le nom et sous la figure de l’ange Gabriel ? Mais Mahomet faisait accroire que cet ange lui venait parler à l’oreille sous la figure d’un pigeon ; or c’était un vrai pigeon que Mahomet avait dressé à lui venir béqueter l’oreille. Nous verrons bientôt[1] que c’est un conte dont les Arabes ne font aucune mention. Le célèbre Gisbert Voëtius ne doute point que Mahomet n’ait été un enthousiaste, et même un énergumène : voici ses paroles ; on y verra d’autres gens qui en ont jugé de la sorte. Non video cur hoc negandum sit (epilepsiæ, et maniacis deliriis aut enthusiasmis diabolicis Muhammedi adfuisse energema), si vitam et actiones ejus intueamur. Et exsertè de illo probat Johannes Andreas Maurus in Confusione sectæ Mahometicæ, cap. 1, eum à Meccanis civibus pro fatuo et obsesso, et à propriâ uxore pro phrenetico et à Satanæ tentationibus deluso fuisse habitum. Idem, ibid. et Philippus Guadagnolo in Apologiâ contrâ Achmedum Alabadin c. 10. sect. 1, ex libris Saracenicis Agar et Assifa probant eum ex vitâ eremiticâ, et nimio jejunio factum fuisse insomnem et furiosum, et in speluncâ commorantem audiisse voces et sermones, loquentem autem neminem vidisse. Ita cum furiosis et dæmoniacis enthusiastis, ac prophetis Monasteriensibus quos patrum nostrorum ætas vidit, in ea comparari posse[2].

Quelque spécieuses que puissent être ces raisons, j’aime mieux croire, comme l’on fait communément, que Mahomet a été un imposteur ; car, outre ce que je dirai ailleurs[3], ses manières insinuantes, et son adresse à s’acquérir des amis, témoignent qu’il ne se servait de la religion que comme d’un expédient de s’agrandir. Facetus moribus, voce suavi, visitandi et excipiendi vices talionis legi suis reddens, pauperes munerans, magnates honorans, conversans cum junioribus, petentem à se aliquid repulsâ nunquàm abigens, aut sermone facili non excipiens[4]. Un vrai fanatique eut-il jamais un tel caractère ? entend-il si bien son monde ? Un homme qui aurait cru pendant quelque temps que Dieu lui envoie son ange pour lui révéler la véritable religion, ne se désabuserait-il pas en éprouvant qu’il ne peut justifier sa mission par aucun miracle ? Or voilà l’état où Mahomet se trouva réduit. Les Koréischites lui offraient d’embrasser sa nouvelle religion, pourvu qu’il fît des miracles ; mais jamais il n’eut la hardiesse de leur en promettre : il éluda subtilement leur proposition, tantôt en disant que les miracles n’étaient plus nécessaires, tantôt en les renvoyant à l’excellence de l’Alcoran[5]. N’y avait-il point là de quoi se convaincre soi-même que l’on n’était pas appelé de Dieu extraordinairement pour fonder une nouvelle religion ? Voyez la remarque (N) à la fin.

(L).... Et qui désapprouvent qu’on débite qu’il n’attira tant de sectateurs que parce que sa morale s’accommodait à la corruption du cœur. ] Sur ce point-ci, je ne doute pas que les personnes dont je parle dans la remarque précédente ne soient mieux fondées, que quant à la prétendue bonne foi de Mahomet. Je ne vois point que ce faux prophète ait dérogé à la morale de l’Évangile[6], et je vois au contraire qu’à l’égard des cérémonies il aggrave notablement le joug des chrétiens. Il ordonne la circoncision, qui, pour les adultes, est une chose bien dure : il veut qu’on s’abstienne de certaines viandes ; c’est une servitude qui n’accommode guère les gens du monde : il interdit l’usage du vin ; or c’est un précepte qui, à la vérité, n’est pas aussi rude pour les peuples asiatiques que pour les nations septentrionales, et qui, à coup sûr, eût fait échouer les Willibrod et les Boniface : mais néanmoins il est incommode dans tous les pays où il croît du vin ; et l’on sait, par l’ancienne histoire et par la moderne, que cette liqueur ne déplaît pas aux Orientaux. Outre cela, Mahomet impose des jeûnes et des lavemens très-importuns, et une assiduité aux prières qui est

  1. Dans la remarque (V).
  2. Voët., Disputat., tom. I, pag. 1057, 1058.
  3. Dans les remarques (T) et (NN).
  4. Elmacin, apud Hottinger., Hist. orient., pag. 241.
  5. Voyez Hottinger., là même, pag. 302, 303.
  6. Voyez Hottinger., là même, pag. 247 et seq.