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NIHUSIUS.

raison, et même sans quelle connaisse qu’il est évident que Dieu les a révélées ; et il dit que ceux qui veulent que pour le moins le Saint-Esprit nous fait voir évidemment le témoignage que Dieu a rendu à ces vérités, sont de pernicieux novateurs. Je suis bien assuré que Nihusius ne s’attendait pas que jamais on lui donnât l’argument démonstratif qu’il demandait. À quoi songeait-il donc, quand il promettait de revenir au luthéranisme moyennant une telle condition ? Se conduisait-il en homme grave ? S’il eût été bien raisonnable, il eût pleinement acquiescé à la réponse qui lui fut faite par Vossius ; elle est très-sensée et très-solide. Mais avouons que Nihusius n’était pas toujours fondé sur des chimères : il appliquait mal un bon principe ; c’est celui-ci : il ne faut point sortir d’où l’on est si le changement est inutile. Le ministre dont j’ai parlé tout à l’heure s’est servi de cet axiome. Il est prédestinateur rigide, et grand particulariste, et il gémit sous le fardeau des objections à quoi son système est exposé ; mais il ne change pas d’hypothèse, parce qu’il n’en trouve point qui le tire de l’oppression. Il ne trouverait rien qui contentât sa raison dans l’hypothèse des molinistes, ni dans les autres méthodes relâchées d’expliquer la grâce ; il aime donc mieux demeurer comme il se trouve, que de prendre une autre situation qui ne le guérirait pas [1]. Cela est de très-bon sens.

(I) M. Rittershusius.... répondit des choses qui méritent d’être pesées. ] Sa charge ayant demandé qu’il haranguât à la promotion d’un docteur, il choisit pour le sujet de sa harangue le voyage d’Hannon. On l’accusa d’avoir copié une lettre que Nihusius avait écrite sur cette matière [2]. Il répondit qu’il y avait dix-neuf ans que cette lettre lui avait servi de guide, mais que rien n’avait demandé qu’il citât Nihusius : car, ajoutait-il, je n’emploie point ses paroles ; j’allègue les termes des auteurs que j’ai consultés, et je les nomme : il n’y en a que deux qui m’aient servi sans que j’aie pu les examiner. Tu Nihusii ne semel quidem mentionem facis. Fateor, nec causa fuit, cur allegarem cujus verbis non utor, sed semper auctorem quos ille citat, et illa ipsa verba non ex Nihusio, sed ex ipsis auctoribus exscripsi, excepto Hieronymo et Transylvano anonymo. Illum ad manus non habui, hune videre nunquàm contigit [3]. Convenons que cette justification est très-valable à certains égards. Un auteur qui remonte jusques aux sources, et qui vérifie tous les passages que d’autres ont allégués, devient un possesseur légitime. Il est en droit de ne citer que les écrits originaux qu’il a consultés ; on serait injuste de le nommer plagiaire, sous prétexte qu’il rapporte les mêmes choses que d’autres. Je crois pourtant que la bonne foi, l’équité, la gratitude demanderaient que l’on reconnût les obligations qu’on a aux écrivains qui nous ont montré les sources. Quand donc un auteur est convaincu en sa conscience, que s’il n’eût point lu les dissertations de quelques modernes qui ont cité les anciens auteurs, il eût ignoré à qui il se fallait adresser pour connaître les autorités originales ; il ferait très-bien d’apprendre au public le bon office que ces modernes lui ont rendu. Ayant fait cela dans une préface, il peut citer de son chef tous les anciens qu’il consulte, et agir en véritable propriétaire. Disons en passant que les écrivains qui se font une religion de citer jusques aux chapitres et aux pages, à l’égard de toutes les choses qu’ils empruntent de leur prochain, sont plus honnêtes que politiques. Ils négligent les intérêts de la vaine gloire, ils se dépouillent du plaisir d’être cités ; car ils facilitent de telle sorte la vérification, qu’il n’y a guère d’écrivain qui ne la fasse lorsqu’il a besoin des mêmes preuves, ou des mêmes faits qui se trouvent dans leurs livres : après quoi il se contente de citer l’ancien auteur. Mais s’ils alléguaient de belles choses sans dire d’où ils les prennent, en se contentant de marquer le nom des témoins, on n’ose-

  1. Voyez le livre intitulé : Jugement sur les Méthodes rigides et relâchées d’expliquer la providence et la grâce, pag. 23.
  2. Thomasius, de Plagio litterario, p. 239.
  3. Nicol. Rittershusius, epist. ad Georgium Richterum, pag. 206 Epistolaram Richterianarum. Voyez Thomasius, de Plagio Litterario, pag. 73 et 240.