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ORIGÈNE.

le laissa passer dans la foule, par un trait de plume, plaçant Origène au milieu de beaucoup d’autres anciens pères à qui cette épithète de saint est véritablement due[1]. Ce sont deux échappatoires qu’on réfuta invinciblement. On soutint que saint Origène se trouvait dans l’original écrit de la propre main de l’auteur, et l’on prouva qu’il n’avait pu y être mis par mégarde. Qui croira, dit M. Daillé[2], qu’il n’ait copié au net, et lu et relu plus d’une fois une lettre qu’il écrivait à un consistoire dont il abandonnait et la religion et le ministère ? une lettre où il entreprenait de leur persuader de suivre un exemple qu’il n’ignorait pas les devoir saisir de douleur et d’indignation. Une lettre dont, par conséquent, il ne pouvait douter qu’elle ne fût exactement examinée par des personnes irritées et en colère contre lui ? Assurément, ou il n’a pas le sens commun, ou il a bien touché et limé cette lettre et en a revu plusieurs fois la copie avant que de l’envoyer, pour n’y rien laisser qui pût donner sujet, ou de moquerie à ceux qui ne l’aimaient pas, ou de dégoût à ceux qui l’affectionnaient. Et néanmoins, après tout cela, ce saint Origène est demeuré dans sa lettre, telle qu’il l’a envoyée et que nous l’avons vue. Certainement l’auteur ne savait donc pas que ce n’est pas là la qualité légitime d’Origène. S’il l’eût su, il l’eût ôtée de sa lettre. Et s’il n’a pas su un secret qui est commun parmi ceux qui fréquentent le pays de l’antiquité, je ne vois pas comment je me puis fier aux promesses qu’il me faisait, etc. La suite de l’apologie de Cottibi est plus mauvaise : car il se jette sur le lieu commun de la haine des ministres pour les saints, et dit cent choses hors de propos comme l’on va voir. « Mais comme il semble que les ministres soient gagés pour faire la guerre aux saints, vous avez cru qu’il était de votre devoir d’attaquer celui-ci, quoiqu’il n’en eût que l’extérieur et l’apparence, car c’est assez de paraître sous cet habit et d’en prendre le nom, pour n’être plus à couvert de vos coups ; si vous contestez cette glorieuse qualité à ceux qui l’ont hautement méritée, et dont l’église chante tous les jours les louanges, ce n’est pas merveille que vous ne l’ayez pu souffrir dans un homme à qui elle ne l’a jamais déférée. Aussi n’ai-je garde d’être surpris de votre procédé, et je trouve qu’en effet vous avez grand intérêt à vous opposer à ce que le nombre des saints n’augmente : vous prévoyez avec raison que plus il y en aura dans le ciel, et plus votre parti aura d’ennemis et l’église d’intercesseurs. Je voudrais seulement que des gens qui font dire à saint Paul que[* 1] les enfans des fidèles sont saints dès le ventre de leurs mères, ne refusassent pas cet éloge à celui qui était fils d’un père et d’une mère, non-seulement fidèles, mais martyrs, et qui, après avoir lui-même, dans sa plus tendre jeunesse, souffert persécution pour le nom de Jésus-Christ, témoigna désirer avec tant de piété et d’ardeur de couronner ses premiers travaux de la gloire du martyre[* 2]. Ce bel esprit, de l’autorité duquel vous vous servez avec estime, en avait tant lui-même pour la sagesse de Socrate, que toutes les fois qu’il pensait à ce grand homme, peu s’en fallait que dans son ravissement il ne s’écriât : Saint Socrate, priez pour nous. Ce ne serait donc pas un crime irrémissible, quand mon âme aurait été touchée de quelque génération pour les vertus d’un chrétien, que l’Évangile rend précieuses, puisque les yeux de votre ami se sont laissé éblouir par les actions d’un païen, qui n’étaient après tout que des péchés éclatans[* 3] : si quelques-uns ont trouvé des taches dans le soleil, je ne m’étonne pas que ce docteur ait eu les siennes, et je ne ferai point son apologie après que les conciles ont fait son procès. Je dirai néanmoins avec ce noble écrivain[* 4], qui s’offrit de le défendre publiquement dans Rome, à l’âge de vingt-quatre ans, qu’Origène en

  1. * Dans la forme d’administrer le baptême.
  2. * Érasme.
  3. * S. August. splendida peccata.
  4. * Joan. Picus Mirandulæ Comes in Apol., concl. 7.
  1. Cottibi, Réplique à M. Daillé, p. 221, 222.
  2. Daillé, Réplique à Adam et à Cottibi, IIIe. part., chap. IX, pag. 100.