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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/468

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PATIN.

ou aussi efficace, que celui-là[* 1] ? Si la religion avait plus de force sur les femmes que le point d’honneur, en trouverait-on un si grand nombre qui étouffent leurs enfans ? N’est-ce un meurtre plus atroce, plus barbare, que de tuer un bon vieillard au coin d’un bois ? Y a-t-il de crimes plus énormes, et plus contraires à la nature, que celui de ces malheureuses mères. Elles sont persuadées qu’en perdant leur fruit, elles commettent un parricide plus détestable aux yeux de Dieu, que l’action de ceux qui volent et qui tuent sur les grands chemins. Celles dont parlent M. de Thou et M. Patin sont d’ailleurs persuadées pour la plupart, qu’elles ôtent à leurs enfans la vie éternelle, et qu’elles les précipitent aux limbes, où ils souffriront pendant toute l’éternité la peine de dam. Cette persuasion élève leur crime à un degré d’atrocité qui n’est pas imaginable : cependant elles le commettent au mépris de Dieu, et en dépit de leur religion ; et cela, pour ne point perdre leur part à l’honneur humain : il faut donc que cet honneur ait plus de force sur elles que l’instinct de la conscience, et que toutes les lois divines. Il a même plus de force que la crainte de la mort ; car depuis la loi sévère dont M. de Thou fait mention, elles s’exposaient au dernier supplice, et il était fort probable qu’elles en seraient punies ; et cependant cette loi exécutée très-souvent ne servait de rien ; ces parricides étaient toujours aussi fréquens que jamais. Que peut-on dire de plus convainquant pour prouver la domination du point d’honneur, et la force impérieuse qu’il a sur nos âmes ? Peut-on nier qu’il ne fût tout seul capable de contenir l’impureté dans les bornes où on la voit enfermée ? Ce n’est point son affaire d’empêcher les crimes cachés ; c’est celle de la conscience : mais lorsque ces crimes cachés traînent après eux des suites que l’on dérobe malaisément aux yeux du public, il est d’une grande force pour les prévenir. Telle est l’incontinence d’une personne d’autre sexe non mariée. On a beau dire que l’art des avortemens n’est pas loin de sa perfection, et que si l’on en excepte celui de guérir les maladies vénériennes, il n’y en a point qu’une malheureuse industrie, excitée par les besoins d’une infinité de gens, ait mieux poussé que celui-là ; on ne saurait nier que les suites dont je parle ne soient bien embarrassantes. Combien y a-t-il de femmes qui après mille inquiétudes, et mille incommodités, et après s’être bien droguées, n’ont pu empêcher que leur faute ne fût connue ? Le parricide ne la cache pas toujours ; il sert quelquefois à la rendre plus infâme et plus funeste, par le supplice dont il est puni : de sorte que si une violente passion, et une irruption furieuse du tempérament, n’ôtent tout-à-fait la raison, on se donne garde de s’exposer à des suites incommodes et périlleuses comme celles-là. D’où l’on doit conclure que puisque M. de Thou et M. Patin déclarent qu’un grand nombre de personnes franchissent cette barrière, il faut que le sexe soit violemment tourmenté[1]. Remarquez bien qu’ils ne parlent que de celles qui tuent le fruit. Si les confesseurs nous donnaient la liste de celles qui se précautionnent de meilleure heure, et avant que l’âme soit arrivée, ils ne se borneraient pas à six cents par an dans une ville comme Paris ; ville, à ce que disent les voyageurs dépréoccupés, moins impure que la plupart des capitales de l’occident. Au reste, ces avortemens prématurés, ou prévenus, sont un véritable parricide selon les bons casuistes. Lisez le passage de Tertullien que je mets en note[2]. Guy Patin l’avait indiqué au lieutenant criminel, lorsqu’on faisait le procès à la Constantin.

Je me souviens d’avoir ouï mettre en question, si, pour épargner tant de crimes à celles qui n’ont pas la force de se contenir, et pour sauver à la république tant de sujets qu’on

  1. * On pense bien que toutes ces idées de Bayle ne sont pas du goût de Leclerc, ni de celui de Joly.
  1. Voyez les Pensées sur les Comètes, art. CLXII, CLXIII.
  2. Nobis verò homicidio semel interdicto, etiam conceptum utero dùm adhùc sanguis in hominem delibatur, dissolvere non licet : homicidii festinatio est probibere nasci, nec refert natam quis eripiat animam, an nascentem disturbet : homo est et qui est futurus ; etiam fructus omnis jam in semine est. Tertull., in Apologet., cap. IX, Patin, lettre CLXXXVIII, pag. 137, le cite. Ce qu’il cite, pag. 144, du même Tertullien, de Animâ, cap. XXV, est hors de propos.