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PÉRICLÈS.

sur les Grecs, et qui s’étaient signalés en bien d’autres occasions ; on les fit, dis-je, mourir à cause qu’ils n’avaient pas enterré ceux qui étaient morts dans le combat ; et l’on n’eut aucun égard à la raison qui les disculpait. On n’écouta point ce qu’ils alléguèrent pour leur défense : c’est que ceux qu’ils avaient chargé de ce soin furent battus d’une tempête qui les empêcha d’exécuter cette commission [1]. Socrate, l’un de leurs juges, s’opposa vigoureusement à cette injustice ; mais ses raisons ne furent pas écoutées [2]. La manière dont ces braves gens souffrirent la mort, fut très-propre à rendre exécrable cette iniquité. Diomédon parla pour tous ; et au lieu d’imprécations ou de plaintes, au lieu d’étaler leurs services si mal reconnus, il se contenta de souhaiter que leur supplice fût heureux à la patrie, et de prier l’assemblée d’accomplir les vœux qu’ils avaient faits pour obtenir la victoire. Τὰ μὲν περὶ ἡμῶν κυρωθέντα συνενέγκαι τὰ μὲν περὶ ἡμῶν κυρωθέντα συνενέγκαι τῇ πόλει· τὰς δὲ ὑπὲρ τῆς νίκης εὐχὰς ἐπειδήπερ ἡ τύχη κεκώλυκεν ἡμᾶς ἀποδοῦναι, καλῶς ἔχον ὑμᾶς ϕρονῆσαι, καὶ τῷ Διὶ τῷ σωτῆρι καὶ Απόλλωνι καὶ ταῖς σεμναῖς θεαῖς ἀπόδοτε· τούτοις γὰρ εὐξάμενοι, τοὺς πολεμίους κατεναυμαχήσαμεν. Quod in capila nostra jam decretum est, id faustum ac felix civitati huic eveniat. At vota pro victoriâ Diis nuncupata, qui fortuna reddere nos prohibuit, vos accurare pium et pium et honestum est. Jovi igitur servatori et Apollini et venerandis Deabus illa persolvitote. Horum enim numine invocato hostes profligavimus [3]. L’historien qui me fournit ces paroles, y ajoute une réflexion sur la fureur qui porta le peuple à cette injustice : le peuple dis-je, animé par des orateurs. Οὕτω δὲ ὁ δῆμος τότε παρεϕρόνησε, καὶ παροξυνθεὶς ἀδίκως ὑπὲρ των δημαγωγῶν, τὴν ὀργὴν ἀπέσκηψεν ἐις ἄνδρας οὐ τιμωρίας, ἀλλὰ πολλῶν ἐπαίνων καὶ ςεϕάνων ἀξίους. Tam perditè tunc populus insanivit, ut ab oratoribus præter jus et fas exacerbatus, iram suam in viros, non modò nullâ pœnâ, sed magnis insuper laudibus et coronis dignos, exonerârit [4]. Mais faut-il donner ce nom à de telles gens ? N’a-t-on pas défini l’orateur, un honnête homme qui entend l’art de parler, vir bonus dicendi peritus [5] ? Il ne faut donc point donner le nom d’orateur, ou celui de prédicateur, à un brouillon, à un factieux, à un scélérat qui abuse de son éloquence et de la force de ses poumons, pour pousser le peuple à des violences. On a vu ailleurs [6] que Thomas Hobbes, voulant inspirer aux Anglais quelque dégoût pour l’esprit républicain, fit une version de Thucydide. Cette pensée n’était pas mauvaise ; mais il eût encore mieux fait s’il eût composé un ouvrage de l’état intérieur d’Athènes. L’Histoire que nous avons de ce peuple n’est guère propre qu’à imposer ; elle nous frappe par son bel endroit ; nous y sommes éblouis par les batailles de Marathon et de Salamine, par des armées de mer et de terre ; par des conquêtes ; par l’opulence des habitans ; par la pompe des spectacles ; par la somptuosité des édifices publics. Tout cela nous porte à croire que de vivre sous une autre forme de gouvernement, c’est être esclave. Mais si l’on voyait une histoire où ces choses ne fussent touchées que légèrement, et qui étalât avec beaucoup d’étendue les tumultes des assemblées ; les factions qui divisaient cette ville ; les séditions qui l’agitaient ; les sujets les plus illustres persécutés, exilés [7], punis de mort au gré d’un harangueur violent ; on se persuaderait que ce peuple, qui se piquait tant de liberté, était, dans le fond, l’esclave d’un petit nombre de cabalistes, qu’il appelait démagogues, et qui le faisaient tourner tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, selon qu’ils changeaient de passions : à peu près comme la mer pousse les flots tantôt d’un côté, tan-

  1. Voyez Xenophon, de Gestis Græcor., lib. I, pag. 263.
  2. Voyez la Vie de Socrate, composée par M. Charpentier, pag. m. 168 et suiv.
  3. Diod. Siculus, lib. XIII, cap. CII, pag. m. 553. C’est à la page 201 de l’édition grecque et latine, 1604, in-folio.
  4. Idem, ibidem.
  5. Voyez Quintilien, lib. XII, cap. I, pag. m. 552.
  6. Tom. VIII, pag. 159, article Hobbes, au texte, vers le commencement.
  7. Hos libros tùm scripsisse dicitur (Thucydides) quùm à rep. remotus, atque id quod optimo cuique Athenis accidere solitum est, in exilium pulsus esset. Cicero, Oratore, lib. II, folio 73, D.