Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T12.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
PYTHAGORAS.

de ces gens-là, interdisait littéralement cette espèce de légume. Plusieurs auteurs graves parmi les anciens entendent ainsi cette interdiction. Quelques-uns ont dit qu’il aima mieux se laisser tuer par ceux qui le poursuivaient, que de se sauver vers un champ de fèves [1], tant il respectait, ou abhorrait cette plante ! Il n’y a, je crois, qu’Aristoxène qui ait dit que Pythagoras en mangeait souvent. Aristoxenus, musicus vir litterarum veterum diligentissimus, Aristotelis philosophi auditor, in libro, quem de Pythagorâ reliquit, nullo sæpiùs legumento Pythagoram dicit usum quàm fabis : quoniam is cibus et subduceret sensim alvum et lævigaret. Verba ista Aristoxeni subscripsi : Πυθαγόρας δὲ τῶν ὀσπρίων μάλιστα τὸν κύαμον ἐδοκίμασε· λίαν κινητικόν τε γὰρ εἶναι, καὶ διαφορητικόν· διὸ καὶ μάλιστα κέχρηται αὐτῷ [2]. Nos savans ne font point grand cas de ce témoignage d’Aristoxène : ils supposent qu’il s’est trompé ; ils regardent comme un fait certain cette abstinence pythagorique, et ils en recherchent les causes. Aristote en a donné quatre ou cinq. Il prétend que ce philosophe défendit de manger des fèves, ou parce qu’elles ressemblent aux parties qu’on ne nomme pas, ou parce qu’elles ressemblent aux portes de l’Enfer, ou parce qu’elles excitent à la luxure, ou parce qu’elles sont semblables à la nature de l’univers, ou parce qu’elles étaient employées dans l’élection des magistrats [3]. Ceux qui veulent que cette défense soit un précepte moral, et que Pythagoras ne l’ait entendue qu’en un sens allégorique, se figurent qu’il a défendu par-là à ses disciples de se mêler du gouvernement. Cela est fondé sur ce qu’en certaines villes, on donnait avec des fèves son suffrage, quand on procédait à l’élection des magistrats. D’autres veulent qu’il ait défendu le plaisir vénérien. Voici un passage d’Aulu-Gelle : il est tiré du chapitre où l’auteur approuve le témoignage d’Aristoxène. Videtur autem de κύαμῳ non esitato causam erroris fuisse, quia in Empedocli carmine quo disciplinàs Pythagoræ secutus est, versus hic invenitur :

Δειλοὶ, πάνδειλοι, κυάμων ἀπὸ χεῖρας ἔχεσθαι.

opinati enim sum plerique κυάμων legumentum vulgè diti. Sed qui diligentiùs anquisitiùsque carmina Empedocli arbitrari sunt, κυάμων hoc in loco testiculos significare dicunt ; eosque more Pythagoræ opertè atque symbolicè κυάμους appellatos, quia sint εἰς τὸ κυεῖν δεινοῖ καὶ ἀίτιοι τοῦ κυεῖν ; et genituræ humanæ vim præbeant, hicchirquoque in Empedocli versu isto non à fabulo edendo, sed à rei venereæ proluvio voluisse homines deducere [4]. Le Mauro, dans un poëme où, sous le nom della Fava, il désigne quelque chose de lascif [5], joint ensemble l’opinion d’Aristoxène, et celle qui le combat. Il prétend que Pythagoras défendait l’usage des fèves, c’est-à-dire le plaisir vénérien ; et que néanmoins il n’y avait point d’aliment qui lui fût plus ordinaire que celui-là : il défendait aux autres ce qu’il pratiquait lui-même ; et cette conduite, si nous en croyons le Manro, est fort commune.

Non fè natura mai cosa sì ghiotta,
   Che sensa quasi romperla co i denti
   Pare, ch’ogni personna se la inghiotta.
Furon certi filosofi prudenti,
   De’ quali fu Pitagora il maestro,
   Che vietava la Fava a quelle genti.
Eran ribaldi, e ladri da capestro.
   Che ingannavan con arte gli ignoranti.
   E poi se ne mangiavano un canestro.
Così fanno hoggi certi mormoranti,
   Che ogni persona sepliscon viva,
   Chiamando Amore, Venere i furfanti.
Riprendono in altrui la vita attiva,
   Et essi ogn’ hor di vespro, e di mattino
   Hanno in uso l’attiva, e la passiva.
Così Maometto già per torre il vino,
   Seppe persuader provincie, e regni
   Co’l suo sottile ingegno, e diavolino.
Gli parve, che i plebei non fosser degni
   Di quel loquore, e così sempre al mondo
   Sovra la forza son stati gl’ ingegni.
Pitogora, c’havea pescato al fondo,
   E de le cose la ragion sapea,
   Ogni gran savio sea parer secondo.
E de le Fave nemico parea,
   Ma se ne confortava il gusto, e’l tatto,
   E d’altra cosa quasi non vivea [6].

  1. Voyez la remarque (P), citation (128).
  2. Aulus Gellius, lib. IV, cap. XI, pag. m 131.
  3. Aristoteles, in Libro de Fabis, apud Diog. Laert., in Pythagorâ, lib. VIII, num. 34.
  4. Aulus Gellius, lib. IV, cap. XI, pag. m 131.
  5. Voyez l’article Molea, tom.  X, pag.  474, remarque (D).
  6. Mauro, Capitolo in lode della Fava, folio 76 verso, dans un recueil de Rime piaccevoli, imprimé à Vicense, 1603.