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RONSARD.

quelle ouïr l’affluence des auditeurs fut si grande, que monseigneur le cardinal de Bourbon, et plusieurs autres princes et seigneurs furent contraints de s’en retourner pour n’avoir peu forcer la presse[1]. »

(G) On dit que ses débauches l’exposèrent à ce malheur. ] Il était bien fait de sa personne, bien vigoureux et robuste, et comme il avait d’ailleurs beaucoup d’esprit, et beaucoup d’inclination pour les plaisirs, on peut juger qu’il ne manqua pas aux occasions de se divertir avec le sexe, et que ces occasions lui manquèrent encore moins. Il ruina les forces de son vigoureux tempéramment par sa vie voluptueuse, comme le remarque M. de Thou. Verùm homo ut ingenio sic formâ corporis robore insignis, cùm vitâ solutâ licentiosè nimis genio indulgeret, valetudinem firmissimam debilitavit, acerbissimis arthritidis doloribus extremâ ætate conflictatus [2]. Il était fort sourd, et l’on avoue dans sa Vie qu’une des causes qui lui attirèrent cette infirmité fut que pendant qu’il étoit en Allemagne, il fut contraint de boire des vins tels qu’on les trouve, la plus grand part souffrez et mixtionnez[3]. C’est un abus ; il y a d’excellens vins en Allemagne, et si Ronsard n’en eût guère bu, ils ne lui auraient causé aucun mal. On lui reproche dans les écrits d’Orléans qu’il avait été fort débauché[* 1].

Tu m’accuses ; cafard, d’avoir eu la verolle :
Un chaste predicant de fait et de parole
Ne devroit jamais dire un propos si vilain :
Mais que sort-il du sac ? cela dont il est plein[4].
.........................
Tu te plaints d’autre part que ma vie est lascive,
En delices, en jeux, en vices excessive :
Tu mens meschantement, si tu m’avois suivy
Deux mois, tu sçaurois bien en quel estat je vy[5].

(H) La dernière maîtresse ne lui servit que... ce sujet poétique[6] : Voyons d’abord ce qui concerne deux premières : « [7] Ronsard s’estant enamouré d’une belle fille Blésienne qui avoit nom Cassandre le vingt uniesme jour d’avril en un voiage qu’il fit à Blois où estoit la cour, ayant lors atteint l’age de vingt ans[8] resolut de la chanter, tant pour la beauté du subject que du nom, dont il fut épris aussitost qu’il l’eust veuë, ainsi que par un instinct divinement inspiré : ce qu’il semble assez vouloir donner à cognoistre par ceste devise qu’il print alors, ΩΣ ΙΛΟΝΩΣ ΕΜΑΝΗΝ [9]. » Les vers qu’il fit sur cette maîtresse furent trouvés trop obscurs ; c’est pourquoi il delibera d’escrire en stile plus facile, les amours de Marie, qui étoit une belle fille d’Anjou, et laquelle il entend souvent sous le nom du Pin de Bourgeuil, parce que c’est le lieu où elle demeuroit, et où il la vid premierement, s’estant trouvé là avec un sien ami qui estoit Baïf : il l’a fort aimée apres avoir fait l’amour à Cassandre. dix ans ; et icelle quittée par quelque jalousie conceuë[10]. Voici l’histoire de ses troisièmes amours : « Il voulut finir et couronner ses œuvres par les Sonnets d’Helene, les vertus, beautez, et rares perfections de laquelle furent le dernier et plus digne object de sa muse ; le dernier, parce qu’il n’eut l’heur de la voir qu’en sa vieillesse, et le plus digne, parce qu’il surpasse aussi bien que de qualité, de vertu, et de reputation les autres precedens sujects de ses jeunes amours, lesquels on peut juger qu’il aima plus familierement, et non cestuy-ci qu’il en-

  1. * Leclerc et Joly disent que Ronsard était sourd dès l’âge de quatorze à quinze ans ; dès lors cette infirmité ne venait pas de débauche ; et sur ce que Bayle rapporte le témoignage du respectable de Thou, ils disent tout simplement que c’est une faute de l’historien.
  1. Binet, Vie de Ronsard, pag, 159, 160.
  2. Thuan., lib. LXXXIII, pag. 44, col. 1.
  3. Binet, Vie de Ronsard, pag. 118.
  4. Ronsard, Réponse à quelque ministre, pag. 86,
  5. Là même, pag. 93.
  6. Voyez ce qui a été dit de Malherbe dans la remarque (B) de son article.
  7. Binet, Vie Ronsard, pag. 129.
  8. Ce fut donc l’an 1544 : néanmoins Binet venait de dire que Ronsard avait publié l’Épithalame sur le mariage de M. de Vendôme et de madame Jeanne d’Albret, reine de Navarre, et puis fait deux autres poëmes, avant que d’être amoureux de Cassandre. Ce mariage se fit l’an 1548 Dans la Vie de Ronsard, au Recueil des belles Pièces des Poëtes français, imprimé l’an 1692, on assure qu’il devint amoureux de Cassandre à Blois, étant auprès du duc d’Anjou. Il n’y avait point en ce temps-là de duc d’Anjou.
  9. Ce sont des paroles de Théocrite que Virgile a ainsi traduites dans la VIIIe. églogue :

    Ut vidi, ut perii ............

  10. Binet, Vie de Ronsard, pag. 133.