Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T13.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
SARA.

gers, et c’est ce qui lui fit prendre la résolution de se donner un substitut auprès d’Abraham, afin de pouvoir devenir mère en la personne de ce substitut, puisqu’elle ne le pouvait être en sa propre personne. Agar, sa servante, qu’elle choisit pour cet emploi, fut bientôt enceinte, et la paya d’ingratitude[a]. Elle se mit à la mépriser : mais Sara, ne pouvant souffrir cette insolence, usa si amplement du plein droit que son mari lui donna sur Agar, qu’elle la contraignit en peu de temps à s’enfuir de la maison. On a pu voir en un autre endroit [b] le retour de cette ingrate et les extrémités où elle se vit réduite lorsqu’elle eut été encore chassée. Nous ne répéterons point cela. Il vaut mieux dire qu’enfin, par une bénédiction particulière de Dieu, Sara devint grosse à l’âge de quatre-vingt-dix ans, et qu’elle accoucha d’un fils qui eut nom Isaac. Elle vécut cent-vingt-sept ans[c]. Il ne faut point oublier qu’elle fut très-belle ; et que sa beauté, et la complaisance qu’elle eut pour son mari de ne se point dire son épouse, mais sa sœur, l’exposèrent à deux enlèvemens (B), où sa pudicité aurait fait naufrage si Dieu n’y eût mis la main (C). Une providence toute particulière la garantit de ce naufrage, et la rendit à son mari, l’honneur sain et sauf, outre les bienfaits dont il fut comblé par les deux princes qui devinrent amoureux d’elle. Cela pouvait adoucir la fâcheuse expérience qu’il avait faite des embarras où se trouvent ceux qui traînent avec eux une belle femme, embarras quelquefois plus grands que s’ils voyageaient avec une laide. On ne peut bien disculper Abraham (D) et Sara en ces rencontres, non plus que sur l’affaire d’Agar ; et c’est à tort que l’on s’emporte contre Calvin, qui leur a dit leurs vérités là-dessus[d]. Il faut s’éloigner également de l’irrévérence de Faustus le manichéen[e], et de la superstitieuse flatterie de quelques autres. La beauté de Sara eut une singularité qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’elle dura pour le moins jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans (E). On en donne diverses raisons ; c’est, dit-on, qu’elle n’avait point eu d’enfans, et qu’elle avait renoncé à tout commerce de mariage depuis qu’elle s’était vue stérile (F). Et en cas que ces raisons ne contentent pas, on y ajoute une providence toute particulière de Dieu, qui mit à couvert, dit-on, la beauté de Sara de toutes les atteintes de la vieillesse ; entre autres motifs, afin d’éprouver la foi d’Abraham (G). C’est à quoi ne prenaient point garde ceux qui dans la chaleur de leurs homélies, exagéraient avec tant de force sa caducité (H), afin de faire trouver plus digne d’admiration le lait dont ses mamelles se remplirent. On prétend [f] qu’elle en eut une si grande abondance, qu’elle fut

  1. Genèse, XVI.
  2. Dans l’article d’Agar, tom. I, pag. 242.
  3. Moréri dit faussement 137.
  4. Voyez Rivet, in Exercit. LXXXVII, tom. I, Oper. pag. 333. Heidegg. Mist. Patr, tom. II, pag. 151, et ci-dessous la rem. (I).
  5. Voyez la rem. (B), citat. (17).
  6. Voyez Pererius in Genes. cap. XXI ; Salian., pag. 473, 474.