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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T13.djvu/118

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SARA.

quand même on aurait la complaisance de accorder à Pérérius, de quoi lui servirait-elle par rapport à Sara, qui, selon lui, ne commença à se sevrer des droits matrimoniaux qu’à l’âge de soixante-quinze ans ?

(G) Afin d’éprouver la foi d’Abraham. ] Cela paraît d’abord étrange ; car on ne conçoit guère de plus grand bonheur temporel que la beauté perpétuelle de ce qu’on aime. Quels vœux y a-t-il aussi favorables à de nouveaux mariés, que de leur dire qu’on souhaite qu’ils ne paraissent jamais vieux l’un à l’autre ?

Diligat ipse senem quondam, sed et illa marito
Tunc quoque cùm fuerit non videatur anus[1].


Mais prenez-y garde de près, vous trouverez que pour un homme qui doit voyager en famille une belle femme n’est pas un petit fardeau ; et en tout cas Abraham en a été un exemple. Quelle peur n’a-t-il pas eue d’être tué, et à quels expédiens fâcheux cette crainte ne l’a-t-elle pas obligé de recourir ! Quoi qu’il en soit, un célèbre théologien de Zurich a parlé de cette manière : Puto pulchritudinis Saræ causam non fuisse aliam quàm supernaturale Dei donum et specialem ejusdem providentiam, qui eam in extremâ senectute voluit fieri matrem Isaci, atque simul cotem fidei et patientiæ Abrahami, quæ in hâc ob formam uxoris immissâ tentatione non parùm explorata fuit[2].

(H) Ceux qui..... exagéraient avec tant de force sa caducité. ] Saint Chrysostome prétend que la verge de Moïse, qui fit sortir d’une pierre une source d’eau, fit un miracle moins difficile que ne le fut de faire venir du lait à Sara. Non sic admirabile fuit quòd ex petrâ in deserto scaturierint fontes aquarum quando illam virgâ Moyses percussit, sicut de vulvâ jam emortuâ puerum nasci, et lactis fontes scaturire[3]. Voici les paroles d’un autre père : Portabat uterum gravem talis mater quæ inanis ambulare vix poterat.…. Marcidæ mammæ quæ in vacuos folles subducti succi detrimenta laxaverant, lactei fontis ubertate tenduntur[4].

(I) On accuse à tort Calvin d’avoir vomi les injures les plus grossières contre Sara. ] Commençons par les paroles de l’accusateur. Non est prætereundum impiè loqui Calvinum, qui Saram quasi lenam, et Abraham quasi adulterum ancillæ suæ carpit[5]. Ces paroles, et plusieurs autres qui les suivent, sont si semblables à celles de Cornélius à Lapidé, qu’il y a lieu de penser que Marin Mersenne n’a été ici qu’un copiste. Son ouvrage fut imprimé l’an 1623. Celui de l’autre le fut l’an 1616. Carpit hic Calvinus Saram quasi lenam, et Abram quasi adulterum ancille suæ Agar [6]. Cette calomnie contre Calvin vient de plus haut ; j’en ai cherché le premier auteur autant que j’ai pu, mais je n’oserais me vanter de l’avoir trouvé en la personne de Feuardent. Ce qu’il y a de bien sûr est que ce moine a précédé le minime[7] et le jésuite[8] que j’ai cités. Son accusation n’a pas été bien connue à Léonard le Cocq[* 1], qui aurait infailliblement nommé Calvin, et indiqué la Théomachie Calvinistique, s’il avait su ce que l’on y trouve. Il n’a fait ni l’un ni l’autre : ses reproches sont vagues ; ils tombent en général sur des hérétiques modernes, et il cite un autre ouvrage de Feuardent. Il dit d’abord que Faustus le manichéen blâma la conduite du patriarche Abraham comme une chose où l’on voyait l’incrédulité et une envie brûlante d’avoir des enfans[9], et

  1. * C’est Cocqueau, et non Le Cocq. Voyez tome VI, page 252.

    Quæst. Campo, quæst. XLVI, où il soutient quòd omnimoda coitûs dimissio magna damna parit præserti in assuetis, in fœminis frequentissimè, in viris rarissimè et cum minori noxâ.

  1. Martial., lib. IV, epigr. XIII.
  2. Heidegg., Hist. Patr., tom. II, pag. 148. Avant lui, Rivet avait dit la même chose, Oper. tom. I, pag. 277 : et Pererius, in Genes., l’avait dit avant Rivet.
  3. Chrysost. Homil. XLVI.
  4. August, serm. LXVIII, de Temp.
  5. Mersennus, Observat, la Problemata Veneti, num. 119, pag. 165.
  6. Cornel. à Lapide, in Genes., cap. XVI, vs. 2, pag. 170, edit. 1623.
  7. Le père Mersenne.
  8. Cornélius à Lapidé.
  9. Crimen inurebat et quòd habendæ prolis insanâ flagrans cupiditate ; et Deo, qui id jam sibi de Sarâ conjuge promiserat minimè credens cùm pellice volutatus sit. Leonh. Coqueus, in August., de Civit. Dei, lib. XVI, cap. XXV. Il cite D. August., lib. 22, contra Faustum, cap. 30.