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SADUCÉENS.

dirons-nous de Josèphe, qui ne leur a point imputé cette rejection ? Il n’est pas possible de s’imaginer qu’il eût omis un tel article, si éclatant ; qu’il l’eût, dis-je, omis lors même qu’il a observé que cette secte rejetait les traditions. Voici quelque chose de plus fort : non-seulement il n’a point dit en cet endroit-là, où il n’y avait pas moyen de se taire, qu’il rejetassent une partie de l’Écriture ; il a même dit positivement que lorsqu’ils niaient l’autorité des traditions non écrites, ils en donnaient cette raison : Il faut seulement tenir pour légitime ce qui est écrit[1]. Un historien qui parlerait de la sorte touchant une secte qui rejetterait presque toute l’Écriture ne serait-il pas insensé ? Je sais bien qu’en chicanant on peut prétendre[2] que les paroles de Josèphe ne se rapportent qu’aux lois écrites, et par conséquent qu’au Pentateuque ; mais je sais aussi que c’était une occasion inévitable de faire mention du mépris que ces hérétiques auraient eu pour tout le reste du canon des Écritures. M. Simon s’est déclaré hautement contre le parti qui assure qu’ils n’admettaient que le Pentateuque, et il s’est servi du témoignage de l’historien des Juifs. Cette secte, dit-il[3], retint tout le corps de l’Écriture, selon le témoignage de Josèphe, qui assure que les saducéens recevaient πάντα τὰ γεγραμμένα[4] toute l’Écriture, et qu’ils rejetèrent seulement les traditions. Ceux-là donc se trompent qui croient que les saducéens ne conservèrent que les cinq livres de Moïse, à l’imitation des samaritains. On trouve dans le Talmud de Babylone, et dans les écrits des rabbins[5], plusieurs passages qui témoignent que les saducéens reconnaissaient pour divins les livres hagiographes et prophétiques de l’Écriture, et qu’ils se contentaient de mépriser les explications des docteurs. Il y a des gens qui croient qu’on a confondu les samaritains avec les saducéens, et que par-là l’on s’est figuré que ceux-ci, tout comme les autres, ne reconnaissaient que les livres de Moïse[6] ; mais il est certain qu’il faut distinguer ces deux sectes l’une de l’autre ; car les Juifs n’avaient aucune communication avec les samaritains, et ils ne rompirent pas la communion ecclésiastique avec les saducéens. Ils eurent même quelquefois un saducéen pour leur grand sacrificateur[7], et il y a quelque apparence que le grand sacrificateur Caïphe faisait profession de cette secte[8].

On raisonnerait contre l’ordre si l’on se servait de cet argument. Les saducéens choisirent dans l’Écriture les livres qui ne combattaient pas formellement leurs erreurs ; ils reconnurent ceux-là pour canoniques, et secouèrent le joug des autres parce qu’ils y trouvaient nettement l’immortalité de l’âme et le doctrine de la résurrection. Ce fut la voie abrégée de disputer que la paresse leur fit prendre. Sadducæi compendio studentes et otio, imò etiam ut effugerent plurimùm confutationes ; abjectis et abolitis omnibus prophetarum libris solos quinque Mosis receperunt[9]. Je dis que cette manière de preuves est illusoire : les matières de fait demandent des preuves de fait, et non pas des vraisemblances appuyées sur des raisons spéculatives. Outre que de semblables raisons ne nous manquent pas ; car l’esprit humain est si fertile en subterfuges, en gloses et en distinctions, qu’il ne lui est pas nécessaire de rejeter la divinité d’un livre pour se défaire des argumens que l’autre parti en emprunte. Les sociniens ne font-ils pas profession de reconnaître pour canonique tout le Nouveau Testament, et néanmoins on y trouve plus de

  1. Ἐκεῖνα δεῖν ἡγεῖσθαι νόμιμα τὰ γεγραμμένα, τὰ δ᾽ ἐκ παραδόσεως τῶν πατέρων μὴ τηρεῖν. Oportere eas tantùm servari quæ scripto continentur. Joseph., Antiq., lib. XIII, cap. XVIII, pag. 454.
  2. Sérarius et Pétau le prétendent. Voyez les Notes de Pétau, in Epiphan. ad hæres. XIV, pag. 28.
  3. Simon, Histoire critique du Vieux Testament, liv. I, chap. XVI, pag. m. 93.
  4. Je crois que M. Simon aurait de la peine à trouver ce grec dans Josèphe.
  5. Voyez la Dissertation de Jean Helvicus Willemer, pag. 33, 34.
  6. Voyez la même Dissertation, pag. 10 et 11.
  7. Voyez Josèphe, Antiquit., lib. XX, cap. VII.
  8. Voyez le chapitre V des Actes des Apôtres, vs. 17.
  9. Centur. Magdeburg., cent. I, lib. I cap. V.