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SANCHEZ.

un humaniste à commenter amplement les poëtes dont j’ai parlé. Les premières lectures de ces poésies donnent de vives atteintes à la vertu, et surtout à celle des jeunes gens : peu à peu on s’y endurcit, et il y a tel critique qui après avoir lu diverses fois Catulle et Martial, ou pour chercher l’éclaircissement de quelque vieille coutume, ou pour les orner d’un commentaire, n’est non plus ému de leurs saletés que s’il lisait un aphorisme d’Hippocrate. Il arrive à ces critiques ce qui arrive aux médecins et aux chirurgiens, qui à force de manier des ulcères, et de se trouver exposés à de mauvaises odeurs, se font une habitude de n’en être point incommodés. Dieu veuille que les confesseurs et les casuistes, dont les oreilles sont l’égout de toutes les immondices de la vie humaine, se puissent vanter d’un tel endurcissement ! Il n’y en a que trop sans doute qui n’y parviennent jamais, et dont la vertu fait naufrage à l’ouïe des déréglemens de leurs pénitentes. Mais cela ne tire point à conséquence contre celui-ci ou celui-là en particulier ; c’est pourquoi nous serions fort téméraires, si nous assurions que Thomas Sanchez ne possédait pas cette insensibilité ; et qu’il s’infectait des ordures très-puantes qu’il remuait avec tant d’application : et après tout il a une excuse que les plus chastes commentateurs des catalectes ne sauraient avoir ; car il peut dire qu’il n’a mis la main à ces vilenies que pour tâcher d’en purger le monde. C’est par-là que l’on s’efforce de répondre à la seconde accusation, beaucoup plus embarrassante que la première.

J’ai dit ailleurs [1] ce que l’on allègue pour justifier Albert-le-Grand, qui se trouve dans le même cas. Ses amis prétendent qu’il faut qu’il y ait des livres où les confesseurs puissent rencontrer les instructions nécessaires contre les désordres dont on leur fait confidence ; et qu’ainsi un grand docteur comme lui a dû écrire là-dessus [* 1]. C’est ce qu’on répond aussi en faveur de Sanchez. Les questions sales et les impudicités énormes qu’il examine si exactement, nous dit-on, servent de beaucoup aux directeurs de conscience. Il ne faut donc point s’en scandaliser : trouve-t-on mauvais qu’un médecin pour le bien de ses malades remue leurs excrémens ? Cette considération détermina les jésuites à ne point ôter du livre de Sanchez les obscénités dont on se plaignait. L’un d’eux exposa, entre autres choses, qu’ayant à juger l’une des impures matières qui s’y voient, il n’eût jamais pu résoudre les difficultés insurmontables qui se présentaient, s’il n’eût eu les solutions de cet auteur. Fuisse autem eam de Matrimonio scriptionem necessariam, audire memini ex homine et probatorum morum severitate, et eruditione clarissimo, P. Valerio Reginaldo. Is, cùm in quâdam provinciali congregatione, à nonnullis meticulosis propositum esset ut opus patris Thomæ Sanchez de Matrimonio truncaretur ed trac- tatione, cujus fœtor toties pro tribu- nalibus à malevolis causidicis extra causam ingestus erat, graviter contestatus est, nihil esse in eo opere conscientiarum duntaxat arbitris conscripto, quodoffensionem meritò moveret. Cùm non modò apud jurisperitos (Tiraquellum præsertim in legibus connubialibus), tetriora absque necessitate ad merum curiositatis pabulum legantur, sed etiam apud alios de matrimonio scriptores, nec non apud summistas eadem occurrant ; quæ omnia Libitinæ addicere, et impossibile et damnosum foret. Apud Sanchem certè, quod maximè spurcum ac vel lectu fœdum videri poterat, sibi aliquando ad dijudicandum fuisse propositum ; et nisi ex eo autore enodationem habuisset, salebras sibi inexpedibiles fuisse futuras. Itaque non plus offendi quemquam debere, eâ fœtidorum dubiorum tractatione directionem pœnitentium necessariâ, quàm succenseamus, cùm medici olida ejectamenta in ægri bonum et curationem emovent [2]. L’abbé de Saint-Cyran, sous le nom

  1. * Leclerc et Joly trouvent que tout ce que Bayle dit ici pour combattre une pratique qui nous vient des apôtres n’est qu’une vaine déclamation. Et voilà la grande réfutation qu’ils promettaient à l’occasion de l’article Albert-le-Grand, tom. I, p. 360.
  1. Voyez l’article Albert, tom. I, pag. 360, remarque (D).
  2. Theophil. Raynaud. Hoplotheca, ibid., pag. 362.