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XÉNOPHANES.

juger que Xénophanes enseignait, que l’on ne pouvait comprendre quoi que ce fût dans la nature des choses. Plutarque lui attribue d’avoir dit que nos sens et notre raison sont des facultés trompeuses [1]. D’autres veulent qu’il ait rejeté le témoignage des sens, afin de conclure qu’il ne faut ajouter foi qu’à la raison ; et ils disent qu’il est le premier auteur de cette doctrine. Οἴονται δεῖν, τὰς μὲν αἰσθήσεις καὶ τὰς ϕαντασίας καταϐάλλειν, αὐτῷ δὲ μόνον τῷ λόγῳ πιςεύειν. Τοιαῦτα γάρ τινα πρότερον μὲν Ξενοϕάνης, καὶ Παρμενίδης... ἔλεγον. Sensus visaque omnia funditus repudianda, rationi uni fidem habendam opinantur. Ac primùm quidem Xenophanes, et Parmenides... in eâ sunt doctrinâ versati [2]. Je crois que Plutarque nous représente plus fidèlement que ne l’a fait Aristoclès, le système de Xénophanes. Je crois que Xénophanes ne se fiait guère plus à la raison qu’à ses sens : voici ce qui me le persuade. Il fut le premier qui enseigna que tout ce qui a été fait est corruptible [3]. Il enseigna aussi que toutes choses n’étaient qu’un seul être ; qu’il n’y avait point de génération ni de corruption ; et que cet être unique demeurait toujours le même, et ne pouvait être sujet à nul changement [4]. Ὃθεν ἠξίουν οὓτοί γε τὸ ὂν ἓν εἶναι καὶ τὸ μὴ ὂν ἕτερον εἶναι, μηδὲ γεννᾶσθαί τι, μηδὲ φθείρεσθαι, μηδὲ κινεῖσθαι τὸ παρά παν. Hi quicquid esset, unum duntaxat esse : quòd ab eo diversum esset, id non esse : generari nihil : nihil corrumpi, moveri, omninò nihil statuebant [5]. Mais voici plus nettement les principes de Xénophanes, et dans toute leur liaison. Premièrement il assurait [6] que rien ne se fait de rien, c’est-à-dire, pour ôter toute équivoque, qu’une chose qui n’a pas toujours existé ne peut jamais exister. Il concluait de là que tout ce qui est a toujours été ; or, ajoutait-il, ce qui a toujours été est éternel ; ce se est éternel est infini ; ce qui est infini, est unique ; car s’il contenait plusieurs êtres, l’un terminerait l’autre, il ne serait donc pas infini. De plus, disait-il, ce qui est unique est partout semblable à soi-même ; car s’il enfermait quelque différence ; il ne serait pas un être, mais plusieurs êtres. Enfin cet être unique, éternel et infini doit être immobile et immuable ; car s’il pouvait changer de place il y aurait quelque chose au delà de lui ; il ne serait donc pas infini : et si sans changer de place il pouvait être altéré, quelque chose qui ne serait pas de tout temps commencerait à être produit, et quelque chose qui aurait été de tout temps cesserait d’être. Or cela est impossible ; car toute chose qui n’ayant pas existé éternellement commencerait d’exister serait produite de rien, et toute chose qui n’a point eu de commencement à une existence nécessaire ; elle ne peut donc jamais cesser d’exister. Voilà quels étaient ses principes, si nous en croyons Aristote [7]. Je ne donte point qu’ils ne lui parussent évidens, et qu’il ne crût avoir là une gradation de conséquences tirées nécessairement d’un principe incontestable. Les théologiens orthodoxes lui nieraient que rien ne puisse avoir un commencement ; mais ils lui accorderaient que l’être qui n’a jamais commencé est unique, infini, immobile, immuable, et que tout ce dont l’existence est nécessaire est indestructible. Ils enseignent, et avec raison, que Dieu n’est sujet à nul changement ; car s’il lui arrivait quelque changement, il acquerrait et il perdrait quelque chose. Ce qu’il acquerrait serait on distinct de sa substance, où un mode identifié avec sa substance. Si c’était un être distinct, Dieu ne serait pas un être simple ; et, qui pis est, il

  1. Ἀποϕαίνεται δὲ καὶ τὰς αίθήσεις ψευδείς, και καθόλου σὺν αύταΐς, καὶ αὐτὸν τὸν λόγον διαϐάλλει. Sensus fallaces esse contendit, unàque cum illis ipsam quoque rationem in omnibus crininatur. Plutarch. in Stromatis, apud Eusebium Præparation, Evangel., lib. I, cap. VIII, pag. 23, B.
  2. Aristocles, de Philosophiâ, lib. VIII, apud Eusebium, ubi suprà, lib. XIV, cap. XVII, pag. 756, B.
  3. Πρῶτος ἀπεϕήνάτο ὅτι πᾶν τὸ γινόμενον ϕθαρτόν ἐςι. Primus definivit omne quod fiat corruptioni obnoxium esse. Diogen, Laërt., lib. IX, num. 19.
  4. Voyez Platon, in Sophistâ, p. m. 170, C.
  5. Aristocles, apud Eusebium, ubi suprà.
  6. Voyez le Traité d’Aristote de Xenophane, Zenone, et Gorgiâ, init. au Ier. tome de ses Œuvres, pag. 939, édit. de Genève 1605.
  7. Ubi suprà.