et emporté, et très-dangereux ennemi. Tous ceux qui le connaissent savent que quand il a des querelles, et il n’est jamais sans cela, il remue le ciel et la terre pour terrasser ses ennemis. Cependant il veut passer pour dévot, et pour un grand zélateur. Le moyen d’accorder ces choses est d’enseigner que l’Évangile ne nous défend point la haine des ennemis de la vérité, et qu’il nous permet de leur déclarer la guerre à outrance, pourvu que nous le fassions par le zèle de la maison de Dieu. Il est donc très-probable qu’il a prêché l’hérésie dénoncée ; car il a pu trouver l’apologie de sa conduite, et un moyen assuré de persuader aux peuples qu’il ne quitte point la route de l’Évangile, en se conduisant comme il fait contre les persécuteurs, et contre ses ennemis. Son tempérament, ses passions et ses actions ont un intérêt capital que la nouvelle hérésie qui a été dénoncée soit véritable. Ne demandez point le cui bono ; il est trop visible qu’il retirerait un grand avantage de ce faux dogme. Il est donc très-vraisembable qu’il l’a prêché[1]. Les inclinations et les actions ont entre elles un rapport mutuel. Les inclinations produisent les actions ; et les actions portent la teinture et le caractère des inclinations….. Comme les théologiens hardis, et qui se croient autorisés, ne font pas de scrupule de faire passer en dogmes et en articles de foi leurs passions et leur conduite, et de réduire leurs dogmes en pratique, on a sujet de craindre que l’on ne voie le cœur de M. Jurieu dans son sentiment sur la haine du prochain, aussi bien que dans ses maximes sur les droits des chrétiens dans la guerre. C’est de ce préambule qu’un savant ministre[2] s’est servi en attaquant M. Jurieu sur l’affaire de la Dénonciation.
XVII. Je tire un nouveau préjugé de ce que M. Jurieu ne nie point qu’il ne donne un sens de figure au précepte de Jésus-Christ, Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, etc. Tant s’en faut qu’il s’en défende, qu’il accuse de socinianisme et d’anabaptisme son dénonciateur, pour avoir trouvé mauvais que l’on ait prêché que les sermons de Jésus-Christ sur la montagne sont une parole dure qu’il faut adoucir en ne les prenant pas à la lettre. M. Jurieu n’ayant point dit que le précepte de bénir ceux qui nous maudissent, et d’aimer nos ennemis, est de ceux de faut interpréter à la lettre, il s’ensuit manifestement qu’il le regarde comme une parole dure qui doit être prise au sens figuré, et par conséquent il est très-probable qu’il a prêché ce qu’on lui impute.
VIII. Le préjugé dont je vais parler est beaucoup plus fort : je le tire des rumeurs et de l’émotion de son auditoire[3]. Je suis témoin que plusieurs personnes ont été choquées des deux sermons ; mais je ne prétends point que mon témoignage soit compté. Citons donc d’autres témoins. Ce que l’on peut dire de plus favorable de ces deux sermons, c’est que toutes les bonnes âmes qui les entendirent en furent scandalisées et pénétrées de douleur, et que les amis de M. Jurieu en furent mortifiés. C’est ce que M. Saurin, témoin de grand poids et de grande autorité, affirme dans un livre qui porte son nom[4]. Un autre auteur passe plus avant, il assure que quelques-uns des auditeurs, choqués et révoltés contre M. Jurieu, ont renoncé à l’entendre à l’avenir [5]. C’est une preuve manifeste que M. Jurieu avait prêché la pernicieuse morale qu’on lui impute ; car s’il avait prêché les huit maximes qu’il dit qu’on verra dans les sermons [6], il n’aurait rien dit de particulier, il se serait tenu dans la route de tous les autres ministres, et même dans les principes rigides touchant l’amour du prochain.
XIX. Nous ne finissons pas encore : voici une considération de grand poids. Le dénonciateur est inconnu : il est possible qu’il soit sincère, il est possible qu’il ne le soit pas ; on n’en saurait juger par ses actions précé-
- ↑ Voyez les Considérations de M. Beauval, pag. 4, et suiv.
- ↑ Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, tome II, pag. 807, 808.
- ↑ M. de Beauval, Considérations sur deux Sermons, pag. 3.
- ↑ Examen de la Théologie de M. Jurieu, page 808.
- ↑ M. de Beauval, Considérations, page 4.
- ↑ Réflexions sur la Dénonciation, page 3.